Excellente synthèse parue dans les colonnes de l’OJIM pour comprendre la propagande autour des evenements graves survenus en France à l’occasion de la coupe du monde de football.
La Coupe du monde de football au Qatar s’est achevée avec la défaite de l’équipe de France en finale. L’équipe du Maroc a également fait un beau parcours dans cette compétition. Mais dans plusieurs villes de France, des débordements ont eu lieu après le match de quart de finale impliquant cette équipe.
Mercredi 14 décembre, la soirée de demi-finale opposant l’équipe de France à celle du Maroc n’a pas échappé à la règle. Fait nouveau : cet après-match a été marqué par l’arrestation essentiellement préventive de militants d’ultra-droite. L’occasion semblait trop belle pour ne pas appliquer un verre grossissant sur un péril bien minime. Quelques morceaux de savon auront été suffisants pour permettre à Libération et à Léa Salamé de faire mousser la baignoire. Retour sur ces événements et leur présentation par le quotidien d’extrême gauche et la présentatrice de « Quelle époque ».
Le ventre toujours fécond de la bête immonde
Un détour par l’histoire permet parfois de replacer les événements dans leur contexte. Il peut aussi conduire à se fourvoyer. Dans un essai paru en 2018, G.W. Goldnadel évoque la « névrose occidentale contemporaine ». L’essayiste y souligne que le monde occidental a été profondément marqué par la 2ème guerre mondiale. Cela a amené à appliquer une grille de lecture binaire sur beaucoup d’événements. Celle-ci, largement partagée, aboutit notamment à minimiser certains périls et à en surévaluer d’autres.
En 1941, le dramaturge allemand Bertolt Brecht écrivait une pièce de théâtre dont une formule a fait florés : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ». Les gauchistes des années 60 en ont usé et abusé pour stigmatiser le pouvoir politique auquel ils s’affrontaient. Il était clair dans leur esprit que le gouvernement s’inspirait de la bête immonde que représentent le nazisme et les nostalgiques du IIIe Reich. A l’heure où l’URSS se remettait des purges staliniennes et où en Chine populaire de Mao, les opposants étaient éliminés en masse, c’était le péril du nazisme qui hantait la symbolique des étudiants contestataires.
Un autre passage de la pièce de théâtre de Bertolt Brecht est beaucoup moins connu : « Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds ». Or c’est bien avec des yeux ronds que Libération et Léa Salamé ont monté en épingle l’interpellation le 14 décembre de quelques militants d’ultra droite lors des débordements après la demi-finale de la coupe du monde.
« Nuit bleue, peste brune »
L’irruption le 14 décembre de quelques militants d’ultra-droite dans le petit monde des casseurs d’après match n’est pas passé inaperçue. Dans son édition du 15 décembre, Le Parisien nous informe qu’à Paris, 47 personnes proches de l’ultra-droite ont été interpellées dans un café pour port d’armes prohibées. « « Ils voulaient clairement en découdre sur les Champs », a ajouté une source policière ».
On apprend également que « selon une source préfectorale, à Lyon, peu après la fin du match, un groupe de jeunes d’extrême droite s’est rapproché des supporters rassemblés sur la place Bellecour. Il y a eu une rixe et la police est rapidement intervenue pour repousser le groupe et le suivre ».
Si certains Français n’avaient pas mesuré l’ampleur de la menace venant de ce bord, Libération les y aide. Dans son édition du 16 décembre, le quotidien titre en couverture sur une « Nuit bleue, peste brune ». Rappelons que la « peste brune » évoque le surnom donné au membres de la SturmAbteilung, une milice du parti nazi.
Le ton est sentencieux : « même dans nos pires cauchemars, nous ne pensions devoir consacrer un éditorial à des événements qui évoquent des heures sombres de l’histoire ». On apprend dans le dossier consacré par Libération à ce sujet quelques informations supplémentaires à celles divulguées la veille par le Parisien : des agressions de supporters de l’équipe du Maroc auraient été commises par des « militants d’ultra-droite » à Nice, selon le maire de la Ville, et à Nantes où des coups auraient été échangés. Une petite dizaine de villes serait concernée en tout.
L’heure du bilan
S’il faut bien évidemment rappeler que toute violence est condamnable et ne minimiser aucun fait, que représentent les militants d’ultra-droite dans le cadre plus global des débordements qui ont eu lieu le 14 décembre au soir ? La lecture d’articles tentant d’en faire une synthèse nous permet de mettre les événements en perspectives.
Le journal Le Figaro a consacré le 15 décembre un article aux débordements recensés dans tout le pays à l’issue du match de demi-finale. « Selon le ministère de l’Intérieur, 266 interpellations, dont 167 dans l’agglomération parisienne, ont eu lieu à l’issue du match. Une quarantaine de fonctionnaires de police ont été blessés ».
Le 19 décembre, le site Boulevard Voltaire nous apprend plus globalement au sujet des différents « débordements » d’après matchs, que selon un syndicaliste de la Police, Matthieu Valet, « sur les 700 interpellations, une cinquantaine est issue de l’ultra-droite, dont 40 arrêtés de manière préventive à Paris, donc sans avoir causé la moindre violence ». Et s’agissant des suites judiciaires de ces interpellations : « seulement sept militants d’ultra-droite (ont été) présentés au juge et (sont) ressortis libres ».
D’un strict point de vue de numérique, l’extrême focalisation de plusieurs médias sur quelques pieds nickelés d’ultra-droite, dont beaucoup ont été arrêtés « préventivement » car porteurs d’armes, laisse songeur. Marc Eynaud critique vertement ce choix éditorial sur Twitter, dans un fil en forme de bilan des évènements :
« En bref, au vu de la réalité des événements : la Une de Libé est une blague. La Nupes a menti et Darmanin nous a refait un Stade de France ». Tel ne semble pas être l’avis de Léa Salamé.
Léa Salamé en procureur
La présentatrice Léa Salamé aime endosser le rôle du procureur. L’émission « Quelle époque » qu’elle a animée samedi 17 décembre en est une nouvelle illustration. Jordan Bardella en était l’un des invités. A voir les signes visibles de l’énervement de Léa Salamé, l’interview du président du RN n’allait pas bien se passer.
Léa Salamé lance à J. Bardella : « mercredi soir, les violences, elles sont venues de quel côté, qui a foutu le bordel, le chaos ? ».
Le leader du RN garde son calme : « je condamne toutes les violences, sans exception, il y a eu des débordements de groupuscules d’ultra-gauche et d’ultra droite ».
Léa Salamé l’interrompt : « de manière écrasante, c’était de l’ultra droite »
Bardella répond : « il y a eu aussi de l’ultra gauche, Julien Le bars qui est commissaire de police qui est sur tous vos plateaux télés l’a déclaré également ».
Bien que J. Bardella ait été clair, Léa Salamé lui lance 3 fois : « vous arrivez pas à le dire » afin que celui-ci convienne que les violences venaient le soir du 14 décembre de « manière écrasante (..) de l’ultra droite ». Une nouvelle fois, il s’agissait pour la présentatrice de « Quelle époque » d’obtenir des aveux de son interlocuteur, et non de se rapprocher de la vérité par un échange verbal respectueux.
Militants d’ultra-droite ou chasse à l’homme communautaire, il faut choisir
Léa Salamé a ainsi établi une hiérarchisation toute subjective des responsabilités dans les débordements après le match de demi-finale. Elle aurait tout aussi bien pu monter en épingle les véritables affrontements communautaires qui ont eu lieu à Montpellier dans les jours qui ont suivi le 14 décembre. Elle ne l’a pas fait, c’est ce que l’on appelle un choix éditorial. Il y avait pourtant de la matière.
Après la demi-finale, dans le cadre des « débordements » et autres exactions de l’après match, un adolescent d’origine maghrébine a été mortellement percuté à Montpellier par un automobiliste qui tentait de fuir un groupe d’individus l’encerclant. Une véritable chasse à l’homme a été menée contre l’auteur présumé des faits, un membre de la communauté gitane.
France Bleu nous apprend que « visiblement convaincus que le conducteur du véhicule, par ailleurs toujours en fuite, est un membre de la communauté gitane, plusieurs dizaines d’individus sont partis à sa recherche, à pied, dans la nuit de jeudi à vendredi. Un appartement soupçonné d’être en lien avec ce chauffard présumé a ainsi été visité et saccagé, en plein cœur de la Paillade. Dans le même temps, des hommes ont tenté de boucler en partie le quartier en confectionnant des barricades ».
Des silences éloquents
Le renfort de CRS n’étant pas suffisant, un appel au calme de la mosquée de la Paillade et de représentants de la communauté gitane a été nécessaire pour que la paix revienne. Car , comme nous apprend France 3 « plusieurs personnes d’une même famille confient avoir quitté leurs domiciles quelques heures après la mort d’Aymen, alors qu’un de leurs proches a été passé à tabac ce soir-là et grièvement blessé. Ils ne sont pas rentrés chez eux depuis, les enfants ne sont pas retournés à l’école. L’angoisse est grande ».
Cherchez bien, vous ne trouverez pas de mention de « nuit bleue » ou de début de « pogrom » dans Libération pour couvrir ces événements. Tout comme l’on n’entendra jamais Léa Salamé faire son mea culpa sur les auteurs, dans leur très grande majorité, du « bordel » et du « chaos », selon ses propres termes, après la demi-finale de la Coupe du monde dans plusieurs villes de France. Bonnes fêtes quand même.