À quelques jours d’intervalle, le Président Joe Biden a prononcé deux discours importants. Le second commémorait les attentats du 11 septembre 2001 ; Biden y soulignait que la démocratie était la cible des terroristes et qu’il était du devoir des démocrates de protéger le système libéral. Un précédent discours, tenu le 1er septembre, désignait ses opposants comme des « ennemis intérieurs ».
Ce rapprochement entre adversaires politiques et terroristes islamistes a suscité de nombreuses réactions.
Il est symptomatique de la dérive totalitaire du plus puissant régime libéral au monde, estiment Arta Moeini et David Carment, spécialistes des relations internationales. Dans un article cosigné (en lien ci-dessous), ils dénoncent le tournant pris par l’administration démocrate de Washington. Au-delà des surenchères électorales, les auteurs insistent sur la propension des régimes libéraux à faire taire les oppositions en se prétendant seuls garants du principe supérieur de « démocratie ».
Bref, le « camp du Bien » ne fait pas de distinction entre ennemis extérieurs et adversaires politiques, quitte à ruiner les principes fondateurs de la démocratie occidentale.
Les terroristes d’Al-Qaïda auteurs des attentats de 2001 ne visaient pas la « démocratie ». Ils étaient mus par une haine de l’Occident, sentiment qui n’a rien de nouveau dans le monde musulman. Et le groupe Al-Qaïda s’est formé en réaction à l’interventionnisme américain et son corollaire : l’hégémonie libérale.
Or le discours du 1er septembre de Biden visait nommément les supporters du mouvement « MAGA » (« Make America Great Again ») de Donald Trump, c’est-à-dire l’aile protectionniste (donc anti-interventionniste) du parti républicain.
Pour les libéraux au pouvoir, contester la politique étrangère américaine fait de vous un allié des dictateurs.
Réclamer, par exemple, un procès équitable pour les émeutiers contestataires du 6 janvier 2021 au Capitole vous range parmi les suppôts de Vladimir Poutine.
Cette forme de terrorisme intellectuel met en danger tous ceux, de droite comme de gauche, qui s’opposent à l’interventionnisme libéral. Les voix qui critiquent la politique américaine au sujet de l’Ukraine ou de Taïwan sont immédiatement associées à « l’extrême-droite ».
Pour Arta Moeini et David Carment, cet amalgame est absurde tant l’idéologie libérale dépasse la frontière entre gauche et droite. La politique étrangère de George W. Bush était pilotée par les « faucons » républicains John Bolton et Mike Pompeo.
Ils ont promu une stratégie de « pression maximale » face à l’Iran, cherché à renverser le pouvoir en place au Venezuela, et encouragé les bombardements en Syrie… La défense « de l’ordre international libéral » est devenue une mission obligatoire, et ce sont les voix dissidentes à gauche qui sont aujourd’hui en priorité combattues. Soit on s’autocensure, soit on rejoint le « camp du Mal ».
Certes, les autocrates de tout poil contribuent aux malheurs du monde. Mais l’interventionnisme américain, qui vise à imposer son modèle démocratique partout, est un parcours parsemé d’échecs sanglants. De l’Afghanistan à l’Iraq et jusqu’en Haïti, les Américains ont voulu forcer des peuples à être libres, sans se soucier des particularités culturelles ni des problèmes de gouvernance qui ne se résolvent pas à coups de missiles.
Le discours manichéen de Joe Biden n’est pas nouveau : il reprend la rhétorique puissante de « l’axe du Mal » de Ronald Reagan.
Mais la Guerre Froide est finie depuis plus de 30 ans… Dans le monde multipolaire de 2022, les pays en voie de développement ne sont plus contraints de choisir un camp idéologique. Leur priorité est d’atteindre un niveau de prospérité satisfaisant et de recouvrer leur influence régionale voire civilisationnelle. Le discours universaliste libéral est sur le reculoir… Les Français, soumis au discours universaliste américain, perdent leur influence en Afrique alors que les Russes et les Chinois – réalistes et cyniques – y placent leurs pions. Le retour d’autocrates en Asie du Sud-Est montre aussi les limites de l’influence libérale.
La promotion de la démocratie, cette mission messianique de l’Amérique, ne fait plus recette auprès de son opinion publique. Le réflexe – dangereux – de tout régime dont les piliers tremblent est de se trouver un ennemi intérieur pour justifier les guerres extérieures.
Si la « démocratie » est menacée par la Russie en Ukraine, alors toute opposition politique contestant le bien-fondé de la politique de l’OTAN est « antidémocrate ».
Cette tendance à se retourner contre son propre peuple n’est pas nouvelle. Elle rappelle l’internement scandaleux des Américains d’origine japonaise pendant la seconde guerre mondiale ou la persécution des intellectuels de gauche, ou réputés tels, pendant la période maccarthyste des années 50.
Mais la situation actuelle est plus dangereuse : c’est près de la moitié de la population américaine qui est visée et non une petite communauté.