La « lutte contre la cyber-haine » : la muselière d’Internet
L’Assemblée nationale a adopté ce mercredi 22 janvier la proposition de loi Avia concernant « la lutte contre les contenus haineux sur Internet ». Au cœur de cette loi, un amendement liberticide a été adopté à la dernière minute, le 21 janvier à 22h30, permettant de réduire considérablement la liberté d’expression sur Internet, au nom de la lutte « anti-terroriste ».
La bonne nouvelle, c’est que la loi n’est pas encore prête à être appliquée, du moins pas dans l’immédiat. Cette loi Avia, qui n’est encore qu’une « proposition de loi », sera examinée par le Sénat le 30 janvier prochain, avant d’être adoptée définitivement le 11 février par l’Assemblée Nationale. D’après ce texte, n’importe quelle plateforme numérique, qu’elle soit associative ou lucrative, populaire ou non, se verra dans l’obligation de retirer en une heure les contenus dits « manifestement haineux », sous peine de se voir infliger une amende correspondant à 4% de leur chiffre d’affaire. Le point central est que seule la police sera juge et décisionnaire : pour des raisons de célérité, elle ne prendra pas en considération l’avis de la justice, qui n’aura d’ailleurs pas le temps de statuer. La loi, en discussion à l’Assemblée nationale depuis presque un an, visait initialement à retirer les contenus illégaux en 24 heures sur les plateformes rassemblant des millions de visiteurs mensuels tel que Facebook ou encore YouTube. La proposition de Loi s’est donc durcit avec le temps… jusqu’à l’absurde !
Une heure ! Les plateformes concernées seront dans la quasi-impossibilité de retirer les articles signalés à cause de ce délai ridicule. Il suffit d’un signalement réalisé dans la nuit pour mettre en difficulté le propriétaire du site qui ne pourra pas forcément obéir à la demande de suppression du contenu en question. Deux solutions seront possibles pour les plateformes en infraction : mettre hors-ligne le site internet, ou accepter de déléguer leur modération aux outils de censure automatisée fournis par les géants Google et Facebook ! Autrement dit, la liberté d’expression sur Internet en France sera entre les mains de la police… ou des multinationales américaines !
Ce n’est pas tout. Un second aspect important de la loi a été modifié. Les sanctions prévues étaient, à la base, exclusivement financières. À présent, la police pourra exiger l’interdiction d’accès au site web depuis la France, via les fournisseurs internet.
L’application de cette loi est donc contraire aux recommandations du Parlement européen. En septembre 2018, ce dernier a adopté un règlement relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. La Commission européenne et les États membres ont exercé une forte pression afin que le texte soit adopté en première lecture avant les élections européennes. Un débat a pu néanmoins avoir lieu durant plusieurs semaines, permettant de limiter la censure policière via l’intervention préalable d’un juge ou d’une autorité indépendante.
Nous pouvons donc nous interroger sur les répercutions d’une telle loi. Il deviendra très facile pour le pouvoir, quel qu’il soit, d’obtenir la fermeture des sites les plus controversés par l’entremise de cette loi luttant contre la “cyber-haine”, terme vague qui pourrait s’étendre, par la suite, à toute sorte de contenus jugés “offensants”. Ce serait alors la fin pure et simple de la liberté d’expression sur Internet.
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