très intéressant article sur le courrier des stratèges
Les employeurs ont-ils intérêt à appliquer la loi sur le passe sanitaire ? Un président de section prud’homal nous explique pourquoi cette loi est un piège à employeurs, qui n’ont rien à perdre à ne pas appliquer la loi, et même tout à y gagner. Une contribution essentielle, qui apportera de nombreuses précisions de notre part dans les jours à venir.
Le Conseil Constitutionnel ayant validé une bonne partie de la nouvelle loi sur le passe sanitaire, la question se pose maintenant de savoir ce qu’elle change pour les employeurs.
Pour tous les employeurs, le texte ne change rien à ce qui existe aujourd’hui
Tout d’abord, alors que le gouvernement avait annoncé des sanctions pour les employeurs qui refuseraient de suspendre, voire à l’époque de licencier, leurs salariés qui n’auraient pas de pass sanitaire ou de vaccin obligatoire, selon les cas, en fait cette loi ne crée aucune sanction pour ces cas là !
Si donc un employeur de la restauration suspend un salarié pour absence de pass sanitaire, ou si en employeur du milieu médical suspend un salarié pour absence de vaccination, il ne pourra pas se cacher derrière une contrainte : il n’y en a aucune dans cette Loi !
Et c’est normal, et c’était prévisible : le contrat de travail de droit privé a force de Loi, et si un tiers s’immisce dans la relation pour la bloquer par la contrainte, alors il doit en assumer toutes les conséquences pour les deux autres parties. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Etat avait pris en charge les salaires de tous les salariés qu’ils avait empêchés de travailler pendant le confinement. Ce n’était pas par gentillesse, c’est juste parce que c’était une obligation légale.
La subtilité de l’article 16
Une petite subtilité cependant pour les employeurs des milieux médicaux et paramédicaux dans l’article 16 :
« La méconnaissance, par l’employeur, de l’obligation de contrôler le respect de l’obligation vaccinale » est passible d’une sanction, en l’espèce une contravention de 5eme classe, soit 1500 euros maximum.
C’est la seule sanction prévue pour les employeurs, et une lecture rapide laisserait penser qu’elle s’applique pour ceux qui ne sanctionne pas leur salarié. Tel n’est pas le texte.
L’obligation qui est faite à ces employeurs est de contrôler le respect de l’obligation vaccinale. Ce qui n’est pas du tout la même chose que de sanctionner un salarié pour absence de respect de l’obligation vaccinale.
Le deuxième piège de la loi
Et ce qui amène au deuxième piège.
Un employeur ne peut pas interroger un salarié sur sa santé, et encore moins le sanctionner pour ce motif. C’est très explicitement interdit par l’article L1132-1 du Code du Travail
Pour faire court : « aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte…. en raison de son état de santé »
La suspension du contrat de travail étant une sanction, si elle est prononcée « en raison de son état de santé », elle est nulle. C’est-à-dire que si l’employeur suspend le contrat de travail pour tout motif de santé, l’application de cet article suffira à annuler la sanction. Et comme il s’agit d’une discrimination, c’est l’un des seuls cas avec le harcèlement où il n’y a ni barème ni plafond en cas de rupture du contrat. Les condamnations peuvent donc être très lourdes.
Le troisième piège de la loi pour les employeurs
Enfin, le troisième piège : la suspension du contrat de travail, qui est en fait une sanction disciplinaire qui prive le salarié de son salaire, est soumis à une procédure particulière, qui est décrite dans les articles L 1332-1 et suivants du Code du Travail.
Il faut notamment convoquer le salarié en respectant des délais, permettre l’assistance par un membre de l’entreprise, respecter encore un délai avant de prononcer la sanction. Le non respect de cette procédure peut invalider la sanction.
Pour résumer les pièges tendus, un employeur qui voudrait suspendre le contrat de travail de son salarié devra :
- respecter le formalisme et la procédures propres aux sanctions disciplinaires
- ne pas interroger le salarié sur sa santé
- ne pas le sanctionner sur un motif de santé.
Si l’employeur ne respecte pas ces éléments, le risque de sanction devant un Conseil de Prud’hommes est maximal, et s’agissant de discrimination, sans limite.
Que faire ?
Alors, comment l’employeur peut-il s’accorder avec la nouvelle Loi ?
Pour tous ceux qui ne relèvent pas de l’article 12 (les restaurateurs, bars, lieux culurel ou de loisirs…), la meilleure chose à faire est : RIEN
Il n’y a aucune sanction prévue si l’employeur ne fait rien, en revanche il risque très gros en sanctionnant son salarié.
Pour les employeurs particuliers de l’article 12, qui sont exclus des sanctions, là encore, la meilleure chose à faire est : RIEN
Pour les autres employeurs de l’article 12 (les professions de santé et assimilées), ils ont l’obligation sous peine d’amende, de contrôler le respect de l’obligation vaccinale. Comme ils ne peuvent pas interroger leur salarié sur leur situation vaccinale, qui relève du secret médical, ils doivent suivre la procédure normale en cas de question sur un élément de santé : ils doivent organiser une visite d’examen par le Médecin du Travail indépendamment des examens périodiques, ainsi qu’il est prévu par l’article R4624-17 du Code du Travail.
Le Médecin du Travail ne communiquera aucune information à l’employeur sur l’état de vaccination, mais seulement l’aptitude ou pas du salarié à travailler à son poste. Et l’employeur aura satisfait à son obligation de contrôle du respect de l’obligation vaccinale sans enfreindre aucune Loi.
Finalement, loin des effets d’annonce tonitruants du 12 juillet 2021, cette Loi a été vidée de sa substance en ce qui concerne le Droit du Travail, qui n’a pas été remis en cause. Elle ne produit que très peu, voire pas du tout, d’obligation contraignante pour les employeurs. Elle vise manifestement plutôt à mettre en place une pression psychologique sur les employeurs. Malheur cependant à ceux qui cèderaient à cette pression et mettraient ainsi eux-même leur tête sur le billot judiciaire