Du passé au présent, les voyages de l’histoire.
Le grand remplacement auquel nous faisons face conduit à la formation d’une société, le terme de civilisation n’a plus lieu d’être, communautariste (qui engendre le concept de « séparatisme » qui évoque le fractionnement de la communauté première en communautés diverses, plus ou moins assimilables). Cela fait au demeurant l’objet de débats au sein des milieux politiques et des merdias…à la marge du monopole de la réalité exercé par Jéhova-covid.
Il est intéressant de faire un parallèle entre les rivalités ethniques et religieuses en Afrique voici quelques décennies et aujourd’hui encore, malgré le délitement d’un continent soumis à un nouveau colonialisme : celui de la Chine, et ce qui se profile en France.
D’autant que ce parallèle, appuyé sur une vision anthropologique du référent africain, révèle une différence fondamentale : Les peuples et les ethnies sont en voie de dissolution au profite de la MHI, la masse humaine indifférenciée, ainsi que Renaud Camus nomme l’humanité contemporaine.
Notre but est de susciter une réflexion tant historique, qu’anthropologique et psychologique.
Deux articles suivront, illustrant la difficulté du positionnement identitaire (qu’est-ce que l’identité : le Sud-Ouest n’existe pas, le Pays Basque n’existe pas, l’Espagne n’existe pas) et la nécessité de réinventer les fondamentaux idéologiques afin de parvenir à ébaucher un fond théorique et une forme « militante » porteuse d’un avenir…crédible et non fantasmée.
Nous n’avons pas la prétention de savoir et sommes plutôt animés par la tentation de douter : le temps des certitudes agonise.
« On t’a dit, tu t’est laissé dire, qu’il s’agissait d’abord de croire, il s’agit d’abord de douter » André Gide.
D’aucuns ne manqueront pas de trouver cette analyse décalée de la réalité présente mais, si l’on changeait les noms, l’histoire des deux derniers siècles ne serait-elle pas superposable ?
Eléments d’analyse des rivalités ethniques et religieuses en Afrique.
L’Afrique c’est immanquablement exotique. Sans aller jusqu’à parler à la suite de F. Fanon de cette attirance suspecte du blanc (de la blanche) pour le noir (la noire), il faut bien convenir que dans toutes les classes, tous les milieux…et par-delà les idéologies proclamées, l’Afrique c’est « La mystérieuse et vénéneuse Afrique ». En clair (sans jeu de mot), c’est l’étrangeté qui est au premier plan.
Parler de la situation sociale dans cette contrée du monde, c’est provoquer, au mieux, un laïus sur le colonialisme suivi du néo-colonialisme, lequel ordonne et organise des réalités méconnues et supposées archaïques. L’analyse la plus courante fait appel à ces deux niveaux, la modernité imposée par l’Occident dans ses formes successives de pillage et d’exploitation, et l’archaïsme de la tradition africaine supposée être celles de tribus en guerres de voisinage perpétuelles pour d’ésotériques et insignifiants motifs.
En somme un continent et des peuples que l’on décrète sans histoire, et ce depuis Hegel. Pour cette analyse et comme nous l’avons préalablement souligné, cette a-historicité de l’Afrique s’achève avec la colonisation qui trouve là à affirmer sa positivité. Il s’ensuit logiquement la nécessité d’un rattrapage historique avec ou sans étapes.
Notre propos est d’infirmer cela. Pour ce faire, nous allons nous attacher à brosser à grands traits et en quelques pages, l’histoire africaine. Nous pensons que cela est nécessaire pour montrer combien et en quoi la situation actuelle de l’Afrique peut se lire avec les mêmes lunettes que celles utilisées pour la situation européenne.
Les antagonistes « tribaux » (il faudrait déjà se défaire de cette fâcheuse habitude qui consiste à qualifier tout conflit entre deux peuples, de conflit tribal dès lors que ces peuples sont africains. Parlerait-on en Occident de la tribu basque opposée à la confédération tribale espagnole ? Le nationalisme ne sévit pas qu’en Europe et sert en Afrique comme partout de camouflage ou moyen de dévoiement des conflits sociaux, ethniques et culturels) et autres rivalités ethniques dont on nous rebat les oreilles à tout propos et hors de propos s’expliquent en fonction de cette histoire et des distorsions surajoutées par le colonialisme. Ils s’expliquent aussi en fonction de l’histoire récente et des contradictions sociales.
La colonisation ne fut pas l’occasion de propulser dans l’histoire un « continent vierge », mais plutôt une redistribution des cartes à l’échelle mondiale (..et locale). Certains, tout en ne niant plus qu’il y ait pu y avoir histoire au sens commun du terme parlent d’un retard de l’Afrique. Ceci nous semble faux pour une raison d’ordre méthodologique. Parler de retard, c’est inscrire l’histoire dans un diagramme orthonormé avec le temps en abscisse et le stade social en ordonnée, et sur l’axe pointer tel ou tel continent….A l’époque (qui est aussi celle de la colonisation) où le capitalisme européen était en pleine maturité, l’Afrique aurait été en proie à des conflits essentiellement tribaux, l’exotisme en plus.
Ce qui suit s’attache à démontrer la fausseté de telles assertions.
La tradition orale ne permet pas de remonter au-delà des XVème-XVIème siècles, ce sont essentiellement les données archéologiques et les récits des voyageurs qui permettent une connaissance de l’histoire plus ancienne. Pour ce qui nous intéresse, ce sont les récits de voyageurs, commerçants et conquérants « arabes » qui vont nous permettre les premières descriptions.
Dès la mort du prophète (sic), les arabes (ceci fait référence à l’histoire officielle que nous discuterons dans un autre article en référence à l’ouvrage d’Ignacio Olagué, Les arabes n’ont jamais envahi l’Espagne, et à celui de Sérafin Fanjul, El Andalus, l’invention d’un mythe) se lancent à la conquête de l’Afrique du Nord soumise au début du VIIIème siècle. Malgré le triomphe rapide des troupes islamiques et du fait des révoltes berbères, la région se trouve fractionnée en royaumes indépendants. Cette division, si elle exacerbe la concurrence, n’empêche pas le commerce et, à travers le Sahara, les caravanes de chameaux se rendent au Soudan Occidental pour y chercher l’or (mines de Bambouk etc…), les peaux, l’ivoire, et surtout les esclaves. En échange elles transportent du sel, des chevaux, du blé, des vêtements…Il existait essentiellement trois pistes : une traversant la Mauritanie, une autre en direction de la bouche du fleuve Niger et une troisième vers le Tchad. Ce sont ces activités commerciales qui vont précipiter la formation des royaumes noirs du Soudan au VIIIème et IXème siècles. Ce furent le Tékrour, le Ghana, les royaumes Hausa, le Kanem. La différenciation sociale de ces royaumes est globalement la même que celles des royaumes européens de l’époque : aristocratie, couche commerçante (bourgeoise) très réduite, paysannerie et une classe service. D’autres royaumes apparurent par la suite au Bénin au VIIème siècle sur la Volta au XIIIème siècle…Sur la côte Est également, le trafic des commerçants arabes, sur la mer rouge, impulsa la création d’états et de principautés ainsi que des cités portuaires organisées en Sultanats (il y a persistance d’un royaume chrétien, le royaume d’Axoum au Tigré). Ce sont les royaumes d’Ifar (sur le plateau de Hanar) et les cités de Mombassa, Zanzibar, Kiloa etc…L’or, l’ivoire, la cire, les peaux mais également les esclaves font l’objet de relations commerciales intenses impliquant également des marchands chinois, indonésiens et indiens. Ce sont des relations commerciales (et particulièrement du fait de la traite) qui vont déterminer, nécessité oblige, des structures sociales monarchiques essentiellement dans les régions côtières. Ce sont en effet, là comme ailleurs, les nécessités du commerce qui provoquent l’urbanisation et la hiérarchisation (et segmentation) sociale très marquée qui apparaît. En 1440 la « découverte » de l’Afrique par les portugais va ouvrir une phase nouvelle. Le but de cette conquête est de s’approprier le commerce de l’or soudanais et d’affaiblir les royaumes arabes…et la République de Venise qui monopolisaient le commerce via la Mer Rouge et la Méditerranée. L’implantation portugaise reste essentiellement côtière mais provoque des bouleversements politiques et sociaux. Des royaumes apparaissent et d’autres s’affaissent. A Madagascar la structure classique est chamboulée par des alliances donnant naissance à des monarchies minuscules, les sultanats arabes côtiers sont détruits ou soumis, le royaume du Congo étendu et son roi Alfonso Ier converti. En diverses régions, telles justement que le Congo, la traite est introduite ou systématisée (la main d’œuvre noire était par exemple utilisée pour la culture de la canne à sucre à Madère). Ce sont les débuts de la traite extérieure ; en effet si l’Afrique connaissait l’esclavage, il sanctionnait surtout la défaite à la guerre (et les esclaves étaient bien vite intégrés dans la communauté des vainqueurs), la traite « extérieure » étant limitée aux pays arabes.
Les bouleversements sociaux et politiques introduits par les flux commerciaux sont importants mais peu étendus dans l’espace. Ils provoquent l’apparition de structures étatiques, monarchies, principautés et empires (tel l’empire Songl du Niger) qui vont se renforcer ou disparaître au gré des conflits d’intérêts des classes dominantes et des alliances passées avec les colonisateurs. Ils sont le prétexte à l’apparition de hiérarchies sociales sur un modèle « plus tyrannique que féodal ». Ils induisent également une redistribution des cartes entre les royaumes européens et arabes et leurs prébendiers locaux. Ils provoquent également des mouvements de populations fuyant les razzias d’esclaves ou désireuses d’échapper aux tutelles étatiques. Il persiste toutefois, à l’intérieur des terres essentiellement, des populations peu touchées par ces bouleversements, si ce n’est à l’occasion d’incursions ponctuelles et d’expéditions isolées. Celles-ci conservent des structures sociales qui seront parfois peu modifiées (parfois aussi le seront du seul fait de contradictions internes). De là provient cette diversité (l’Europe de l’Ouest, malgré sa superficie réduite et donc la difficulté à faire coexister des organisations sociales différentes, connût également à l’échelle réduite, ce phénomène dans les siècles qui suivirent la chute de l’empire romain) d’organisations sociales qui peut dérouter : coexistence de royaumes, de chefferies, d’empires, d’organisations classiques donnant lieu à des conflits épisodiques confrontant de fait des ethnies différentes, dont les structures sociales sont opposées.
Au XVIIème-XVIIIème siècles la décadence portugaise est de plus en plus prononcée. Le Portugal est d’ailleurs annexé par l’Espagne et la dislocation de la main mise lusitanienne livre l’Afrique à la curée. Les hollandais conquièrent la plupart des possessions portugaises, la France et l’Angleterre se lancent dans la bataille. Chaque état européen s’organise en compagnie de commerce qui porte essentiellement sur le bois d’ébène mais aussi sur l’ivoire, l’or, les épices…A partir du XVIIIème siècle les besoins des Antilles et des Amériques en main-d’œuvre vont croissants (surtout pour le tabac et la canne à sucre, mais également pour les mines) et le chiffre de 85 000 esclaves par an enlevés d’Afrique sera atteint vers 1780 (du XVème au XIXème siècles ce sont 15 à 40 millions de noirs, selon les estimations, qui aurait été arrachés à l’Afrique). Les royaumes africains vont alors s’organiser en fonction de ce commerce sur un mode totalitaire et militaire : Confédération des Achantis en Côte de l’Or, royaume de Dahomey, royaume du Bénin et Congo….Le but essentiel de l’organisation sociale est la traite…ou la résistance à la pénétration étrangère européenne (Cf : note en fin de chapitre). Il y a une réduction progressive de l’administration des territoires contrôlés qui sont surtout l’objet des razzias périodiques, et la naissance de petits potentats locaux dont la raison d’être est de gérer le cheptel humain à leur profit et pour celui des européens.
La traite sera abolie au début du XIXème siècle (Traité de Vienne en 1815) officiellement, mais subsistera encore près d’un demi-siècle.
A partir de 1850 la dualité intérieur-extérieur va tendre à être dépassée : L’Afrique est partagée puis colonisée, l’intérieur va être bouleversé, ses sociétés et leurs économies démantelées. Jusqu’en 1880 une certaine réticence se fait sentir quant à la nécessité de la colonisation. Le capitalisme européen doute de l’intérêt commercial de l’Afrique et se méfie de sa réputation (sanitaire entre autres choses). Il est vrai que les marchés européens ne sont pas encore parvenus à saturation et ce sont tout au plus les ressources en matières premières que l’Europe convoite.
C’est la grande période de l’exploration intérieure, de Savorgnan de Brazza (Gabon), de Burton et Speke (Tanganika), de Nachtigal (Tibesti) et de Stanley retrouvant Livingstone. C’est la France (le dernier obstacle est levé par la découverte de la Quinine par Joseph Pelletier et joseph Caventou (1820), et de son caractère préventif par le Docteur Baikie en 1854…ce qui nous renvoie au présent « épidémique ») qui la première va créer une véritable colonie nommant Faidherbe gouverneur du Sénégal, vérifiant et organisant les comptoirs, soumettant les roitelets africains. L’Angleterre suivra son « exemple » en s’assurant le contrôle de la Gambie, de la Sierra-Leone, de la Côte de l’Or….Le processus était amorcé.
La crise comme toujours, eut raison de toutes les hésitations. Défendant la politique colonialiste à la chambre des députés, Jules Ferry dira en 1885 : « Dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché ».
Désormais la route est libre pour la systématisation des conquêtes militaires et l’établissement direct du pouvoir colonial. Les justifications idéologiques que nous avons évoquées dans un chapitre précédent peuvent fonctionner. De surcroît, inversant impudiquement les rôles, l’Europe élabore toute une série de représentations contradictoires de l’Afrique : d’un côté les pouvoirs politiques indigènes qualifiés de tyranniques, arbitraires, esclavagistes…De l’autre des populations naïves et bonnes, hospitalières n’attendant que d’être délivrées de ces pesantes tutelles et conduites vers la lumière : la variante XIXème du bon sauvage ! (Ceci permettait à bon compte de masquer cette réalité : les ci-devant états tyranniques étaient les produits directs du commerce (et particulièrement de la traite) tel qu’il était pratiqué).
Sous l’impulsion du roi des marchands et des belges, Léopold II, se tient de novembre 1884 à février 1885, la conférence de Berlin. Cette conférence qui doit créer un consensus et définir les règles de partage de l’Afrique vise à réduire les frictions entre états européens. A cette occasion, on mesure le chemin idéologique parcouru par les capitalistes et leurs hommes d’état depuis les déclarations de Disraeli (leader conservateur anglais) en 1852 : « Ces sacrées colonies seront toutes indépendantes dans quelques années et sont une meule attachée à notre cou » ou de Bismarck en 1871 « Nous autres, allemands n’avons pas besoin de colonies »…Et la nécessité d’une mise en valeur des positions acquises prônée par la dite conférence. Il est vrai qu’en sus de la crise mais en relation étroite avec celle-ci, la colonisation apparaît comme le « meilleur dérivatif au danger social-démocrate » (Prince de Hohenlok 1882) car « Si on veut éviter une guerre civile, il faut devenir impérialiste » Cecil Rhodes).
C’est de cette époque que date pour l’essentiel le tracé aberrant des frontières (même si bien entendu, l’existence des frontières est en soi aberrante du fait de la nature de l’impérialisme évoqué) visant à éviter (sic !) les rivalités impérialistes. En 1919 le partage de l’empire colonial allemand aboutit au tracé définitif des frontières en Afrique.
Ce découpage « arbitraire » sera déterminant dans la production de ce que l’on appellera par la suite « les conflits tribaux ». En fait les sociétés soumises à la colonisation ont toujours été engagées les unes par rapport aux autres dans les stratégies que ne dissolvaient pas d’un coup la présence coloniale. Leurs dynamiques intrinsèques et leurs finalités ont de ce fait été modifiés par le passé, ces contradictions et ces conflits restent actifs et contribuent à peser sur ces contradictions du présent. Ces antagonismes vont en quelque sorte être consacrés et légitimés administrativement et politiquement, ils vont être intégrés aux stratégies de domination des colonisateurs, ils vont être confinés, et donc décuplés, dans des limites géographiques déterminées (Alors que l’Afrique comme l’Europe, après la désagrégation de l’empire romain est le continent de la mobilité).
En somme aux rivalités d’intérêts nées de l’histoire vont s’ajouter les rivalités d’intérêts nées de la colonisation européenne. Un seul exemple suffira à illustrer cela, celui du Tchad. Les arabes musulmans du nord avaient pour habitude d’utiliser le sud animiste comme vivier d’esclaves, les royaumes arabes entretenant en outre des rapports de domination avec ces régions. Le colonisateur français formera et s’appuiera donc sur des cadres sudistes christianisés (à l’exemple de Tombalbaye) et revanchards, redoublant ainsi le conflit interne aux populations tchadiennes tout en minorant les risques (du moins l’espérait-il) d’une révolte anticolonialiste susceptible de remettre en cause sa domination….C’est là un cas de figure simple mais d’une manière générale les antagonismes sont plus divers. Ainsi dans cet exemple il y a conflit (ou plutôt méfiance et parfois hostilité, due à des conflits anciens pérennisés par la tradition orale et survivant dans l’inconscient collectif ; ce qui constitue un terrain propice pour une réactivation « moderne » intégrant par ses références un passé mythologisé) entre les populations du sud (Sara, Sao, Kotoko, Peuls…), situation que l’on retrouve entre les populations du nord (du Kanem, du Bornou, du Ouaddaï) ; conflits qui s’expliquent par le rapport de domination nord-sud mentionné ci-dessus et le peu d’alliances qu’il impliquait mais aussi par les guerres, querelles dynastiques etc…entre les différents royaumes qui se sont succédés ou affrontés dans ces régions. Le passé et le présent s’intriquent pour expliquer la situation actuelle, les stratégies des uns et des autres et les renversements d’alliance entre les multiples fractions tchadiennes. Rappelons également l’exemple déjà cité (et simplifié) de l’antagonisme entre Tutsis et Hutus du Burundi que l’histoire nous permet d’apprécier en termes de rivalités sociales.
Resituer historiquement c’est retrouver une rationalité historique et donc sociale à ce que l’on veut nous faire avaler comme pur archaïsme ou pure irrationalité en rapport avec le « mystère africain » (l’âme africaine c’est le même coup, tordu, que l’âme russe : une mystification).
Si nous insistons sur les racines de ces antagonismes, nous pensons cependant qu’il est nécessaire de tempérer leur importance, à savoir les reconnaître comme un facteur parmi d’autres, une des contradictions et non la contradiction…D’ailleurs en Europe, nul ne songerait, toute proportion gardée, à réduire la vie à des conflits : fonctionnaires-autres salariés (en effet certaines ethnies sont « spécialisées » : Les Peuls sont éleveurs), bretons-parisiens (avec toutes les variantes que l’on peut imaginer) ou immigrés-français (sinon à des fins mystificatrices).
Il serait donc erroné d’imaginer une haine absolue et généralisée entre ethnies. D’autant que depuis des siècles les migrations (et par voie de conséquence, les brassages) sont monnaies courantes en Afrique. Et si le colonialisme a joué des rivalités, il a aussi organisé le contact obligé entre ethnies. Le travail forcé, esclavage assoupli, n’est supprimé qu’en 1946 ; aussi voyons-nous avant cette date d’importants et réguliers mouvements migratoires. Si l’on se limite à l’ouest africain de la fin du XIXème siècle à 1920-1930, c’est le Gold Coast britannique (le Ghana actuel) qui est le principal bénéficiaire de ces flux. Ceci en raison du développement de l’agriculture dans les forêts ghanéennes, notamment la culture du cacao dont ce territoire sera en 1911-1912, le principal producteur avec 400 000 tonnes exportées. Samir Amin a calculé qu’en 1920 le littoral ghanéen compte 2,1 millions de personnes contre 800 000 au Sénégal et 1 million en Côte d’Ivoire. De 1920-1930 à nos jours, c’est au tour des colonies de l’A.O.F de connaître un développement agricole et forestier important : arachide (Séné-Gambie), cacao (Cote d’Ivoire), café (Cote d’ivoire), palmier à huile (Bénin)….
C’est la main d’œuvre voltaïque (principalement Messi) qui est déportée. Après 1946, le travail forcé supprimé, c’est pour éviter une pénurie de main d’œuvre que les employeurs créent le SIAMO (syndicat interprofessionnel pour l’acheminement gratuit de la main d’œuvre) qui recrutera en pays Messi et Senonfo…De telles migrations s’observent également en Afrique Australe où l’Afrique du Sud a recruté jusqu’à 80 % des prolétaires des mines dans les pays voisins (Botswana, Lesotha, Swaziland, Mozambique…) et ce depuis la fin du XIXème siècle. Il s’agissait d’une main d’œuvre moins qualifiée, moins revendicatrice (et pour partie temporaire), d’autre part cette diversité ethnique et les antagonismes anciens (cf : note en fin de chapitre) existant entre elles réduisaient les risques de conflits sociaux. Depuis 1972-73 la tendance à l’homogénéisation de ces prolétaires, mais aussi les guerres locales et la mécanisation ont amené un infléchissement de cette tendance.
La crise qui sévit aussi en Afrique conduit également les gouvernements africains à adopter des politiques, préconisées ou pratiquées en Europe, ségrégationnistes et d’expulsion des étrangers. Les rivalités ethniques (ou comme nous allons le voir, confessionnelles) prétextes commodes à de telles pratiques sont utilisées ou suscitées (ravivées). Ainsi le Nigéria récemment, le Gabon en 1978, mais aussi la Côte d’Ivoire et le Ghana ont expulsé des prolétaires qui, depuis des décennies le plus souvent, étaient installés à demeure ou séjournaient périodiquement. Ce sont les pays à forte rente agricole (Ghana et Côte d’Ivoire..), minière ou pétrolière (Gabon, Nigéria…) qui ont vécu ces phénomènes.
Aux rivalités ethniques si souvent invoquées s’ajoutent les rivalités confessionnelles qui « marchent très fort » dans l’opinion depuis l’instauration d’une République Islamique à Téhéran et l’amplification du fondamentalisme lui aussi islamique. Les progrès de l’Islam en Afrique sont constants. Le phénomène islamique comme se plaisent à l’appeler les médias n’est pourtant pas récent. Nous avons vu que la pénétration de cette religion au Sud du sahel s’est amorcée voici plusieurs siècles, en revanche elle connaît ces dernières décennies une extension rapide. Ses adeptes sud-sahariens sont aujourd’hui au nombre de 120 millions et le succès de Mahomet doit beaucoup aux colonisateurs.
Durant la période précoloniale, les populations islamisées et surtout les élites des états existants ont opposé une résistance farouche. La soumission obtenue, ces élites perdirent de fait (et se virent retirer) tout pouvoir politique au profit, d’abord de l’appareil colonial européen, puis de nouvelles élites « aux ordres » recrutées dans les populations christianisées et formées le plus souvent par les « bons pères » (ou en Occident). Bon nombre des membres des couches dirigeantes des états néo-coloniaux étaient dans un premier temps chrétiens et issus du moule européen. Les appartenances religieuses ont souvent recoupé les appartenances ethniques et n’ont pas manqué de nourrir les antagonismes. Les velléités d’indépendance qui se sont faites jour dans différents états peuvent parfois s’analyser à la lumière des mouvements religieux.
L’ordre colonial, s’il a écarté du pouvoir les musulmans, a utilisé les circuits commerciaux qu’ils avaient créés. Développant des réseaux commerciaux gérés par ceux-ci, il a favorisé l’extension de leur religion et son implantation en différentes régions. Handicapés par leurs refus de l’école occidentale et distancés dans l’accès aux leviers de commandes politiques par des adeptes d’autres confessions, les musulmans détenaient un certain pouvoir économique. L’inféodation des élites occidentalisées aux anciens colonisateurs, le caractère « compradore » de leur gestion a fait des élites musulmans des candidats aux pouvoirs perçues plus nationalistes (et nationales). D’autant que les pays arabes ayant vocation d’impérialismes locaux (continentaux), Arabie Saoudite, Libye, mais aussi Egypte, assortissent leurs aides économiques (vécues bien souvent comme des aides désintéressées, ce qui masque en partie la caractère impérialiste ce ces états) de mesures culturelles (également en faveur de la langue arabe et de la religion), mosquées, centres culturels, universités islamiques, financements de programmes de radio, attribution de milliers de bourses à des étudiants africains qui de plus en plus sont accueillis dans les universités arabes. De fait l’islam s’impose de plus en plus comme ciment de couches sociales et de camarillas candidates au pouvoir. Ce ciment idéologique est perçu comme une vision du monde moderne et dynamique à l’image des pays où l’encadrement islamique déjà au pouvoir (Niger, mali, Nigéria) se montre ouvert sur l’extérieur, entreprenant et soucieux de « développement économique ». C’est la fonction intégratrice de l’Islam au capitalisme.
Pour autant nous n’avons pas fait le tour du « problème islamique » car cette religion fonctionne aussi comme levain de révoltes sociales millénaristes.
En effet, à contrario de ce qui est écrit ci-dessus (et ceci pour les mêmes raisons historiques mais en fonction des conditions locales spécifiques), dans certaines régions et auprès de couches populaires, les valeurs islamiques définissent un secteur de repli pour des populations exploitées et laissées pour compte. C’est le cas au Nigéria (exemple rêvé des deux fonctions de l’Islam) pour la « secte » (c’est ainsi que l’appelle péjorativement la presse) de Maitatsine, le « nouveau prophète », qui en décembre 1980 à Kano avait déclenché une première guerre sainte soulevant des milliers de paysans pauvres et d’étrangers immigrés clandestins. Cette « Jihad » avait pour but d’en découdre avec les nouveaux riches du pays, d’exterminer les corrompus…Elle s’est soldée par plus de 7 000 morts dus à l’intervention de l’armée. En 1984 à Yola, toujours au Nigéria, une nouvelle flambée de révoltes liées à la même secte a fait près de 1 000 morts, l’armée ayant bombardé les insurgés. Cette secte, mais on devrait plus justement dire ce mouvement millénariste (et pour les mêmes raisons historiques mais en fonction des conditions locales spécifiques), s’étend malgré une répression impitoyable dans tous les états du Nord et du Nord-est du Nigéria mais aussi au Cameroun, au Tchad et au Niger, et il ne s’agit pas là d’un phénomène isolé.
Nous avons essayé de comprendre historiquement et socialement les antagonismes ethniques et/ou religieux qui participent de la réalité africaine. Les éléments d’analyse avancés n’ont pas nécessairement de portée universelle ou continentale, ce qui est vrai dans tel pays ne l’est pas, ou en partie seulement dans tel autre.
Nonobstant on peut tirer quelques leçons de ce qui précède.
Les antagonismes entre ethnies préexistaient à la colonisation européenne et s’expliquent comme s’expliquent les conflits européens entre ennemis héréditaires anglais et français, français et allemands …c’est-à-dire économiquement, politiquement et donc socialement.
Les colonisateurs ont utilisés à des fins de gestion, d’administration et de pacification sociale (c’est-à-dire par une manipulation aliénante et mystificatrice) les situations qu’ils rencontraient et qui aussi parfois leur échappaient, rien n’étant complètement mécanique.
L’ère post-coloniale que nous vivons est l’héritière du passé colonial et pré-colonial, et la crise du mode de production capitaliste est comme partout réfractée en Afrique par les dispositions locales des rapports sociaux. Le « grand remplacement » est une suite et une forme de l’uniformisation de la planète.
-NOTE-
Les Zoulous condensent l’essentiel de certains peuples africains….
Zoulou a d’abord été le nom d’un chef, le deuxième d’une généalogie dont les commencements sont obscurs. Au début du XIXème siècle ce nom devient celui d’un peuple dont la présence au Natal est attestée dès les premiers récits de voyageurs. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirment les historiens sud-africains, ce peuple dont le véritable nom est Ngunis (appartenant au groupe linguistique Danton) s’est établi dans le sud de l’Afrique avant l’arrivée des Boers au Cap en 1652 (d’après la traduction orale, son établissement daterait du XIIIème siècle) comme le disent les marins du Sao Bento naufragés au large du Natal en avril 1554 : « Le pays était densément peuplé et pourvu en bétail ». Les mêmes naufragés entrant en contact avec les Ngunis s’étonnent du refus de ceux-ci à participer à la traite négrière ; « Il serait impossible d’acheter le moindre esclave chez eux, car ils n’accepteraient pour rien au monde de se séparer de leurs enfants ou de n’importe quel parent : les liens de l’amour qu’ils se portent sont d’une force tout à fait remarquable » rapporte le capitaine S. Van Der Stell en 1688. Ceci explique sans doute la migration des Ngunis vers le sud fuyant la traite et peut être la structuration étatique qu’elle impliquait.
Les Ngunis rejettent également toute forme de commerce et se bornent à échanger dans un rayon restreint des biens d’usage. D’autres européens décrivent ainsi les traditions d’accueil de ce peuple : « On n’a nul besoin, lorsqu’on se déplace, de s’inquiéter de ce qu’on va manger ou boire, car ils entretiennent dans chaque village une maison d’accueil pour les voyageurs, où ceux-ci ne sont pas seulement logés mais aussi nourris ». Les Ngunis sont un peuple d’éleveurs, l’élevage organisant la vie sociale.
C’est la possession d’un grand nombre de bovins qui consacre le lien social. La possession est lignagère et classique. La structure politique est très large, l’organisation sociale est constituée de petits villages groupant chacun un clan, l’unité villageoise compte de 500 à 4 000 personnes, quelques chefferies se sont constituées regroupant chacune quelques clans. En somme il s’agit d’une illustration de la thèse de Clastres : Une société contre l’Etat ! (Etant entendu que l’organisation sociale et l’idéologie qui la formule visent à pérenniser l’état des choses existant).
Toutefois, à la fin du XVIIIème siècle de graves conflits internes commencent à agiter la société Ngunis, produits par une crise dont la raison reste indéterminée. Il semble que se soient conjugué une croissance démographique entraînant une pression sur la terre et les migrations conquérantes des colons hollandais, limitant les ressources foncières des Ngunis.
Peur et nécessité vont favoriser l’émergence d’une nouvelle formation sociale : un état militaire. Une organisation très hiérarchisée et pyramidale est mise sur pied, les anciennes structures sont détruites (clans, coutumes, rites…interdictions des palabres).
Cette structure de résistance à la pénétration coloniale vaudra quelques sujets passagers à Chaka, roi des Zoulous, qui sera finalement abattu par les siens et la nation Zoulou vaincue par les anglo-boers.
Il est important de mentionner que s’érigeant en état, la nation Zoulou devient à son tour conquérante et soumit les peuples alentours (Sotho, Swazi, Matabelé..) ou les expulsa de leurs territoires. Ceux-ci, mis en branle par cette formidable poussée, vont à leur tour ravager puis coloniser les territoires des états actuels du Lesotho, Botswana, Mozambique, Malawi, Swaziland….Les rivalités ethniques dans la région doivent beaucoup à cette période qualifiée de « Mfecane » (que l’on peut traduire par mouvements tumultueux de population) par les africains et que la mythologie coloniale consacra (récits d’atrocités etc…).
Confronté au colonialisme, un peuple sans état se dote de structures étatiques fondées sur l’émergence d’un sentiment national et devient à son tour conquérant. C’est la leçon essentielle que l’on peut tirer de cette histoire. Une leçon secondaire mais significative, c’est la comparaison établie par certains entre Chaka et Hitler : les adeptes de la démonologie historique ne pouvaient manquer de saisir l’occasion d’une nouvelle réduction et d’un nouveau travestissement de l’histoire.
Daniel Cosculluela.