L’echec de la lutte contre les rodéos urbains

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Mantes-la-Jolie : comment échoue la difficile lutte contre les rodéos urbainsEmbarquez avec la police à Mantes-la-Jolie (Yvelines) pour assister au travail des agents, mobilisés – plus que jamais pour rien cet été – dans la lutte contre les rodéos urbains.

« Là on est au cœur du ter-ter (territoire – en argot de banlieue : la partie la plus chaude de la cité) », sourit un policier à l’entrée de la cité des Garennes, au Val Fourré. Vendredi 19 août 2022 dans l’après-midi, nouvelle opération anti-rodéos urbains à Mantes-la-Jolie, comme trois fois par jour dans chaque commissariat de France depuis le milieu de l’été. Après l’accident tragique du 5 août 2022 à Pontoise (Val-d’Oise), où deux enfants de 10 et 11 ans ont été grièvement blessés par un inconscient à moto, la lutte contre ce phénomène est devenue « LA » priorité du ministre Darmanin.

Nous avons embarqué avec la Brigade spécialisée de terrain (BST), pour assister à la difficile traque des fous du guidon, où la motivation des forces de l’ordre se heurte à la réalité du terrain et à la multiplicité des interventions.

« Ici, ils arrivent sans crier gare »

17h00, le fourgon de la BST avec quatre agents à bord – trois hommes, une femme – sort du commissariat, direction la rue Gutenberg au Val Fourré. Un spot connu. « Ici, ils arrivent sans crier gare », prévient un fonctionnaire. Mais pas l’ombre d’un deux-roues – souvent des motocross et des scooters volés ou à l’état d’épaves – en cet après-midi couvert et lourd. Le véhicule roule au pas.

Ses occupants essuient les regards de défiance de certains jeunes passants. « Arah ! » Devant un point de deal, le cri d’un guetteur vient troubler le calme apparent. « Ici, on reçoit souvent des fruits et des légumes (comme projectiles) », lâche, désabusée, la policière au volant.

La patrouille emprunte ensuite la rue Clément-Ader, « un secteur sensible ». Là encore, pas la moindre pétarade à l’horizon. « Une moto a été repérée dans l’après-midi, on vient vérifier. » Le quartier est calme. Les fonctionnaires, accaparés par leurs autres missions, en profitent pour contrôler une voiture « suspecte ». Après un bref dialogue entre jeunes et policiers, chacun repart de son côté : tout est en règle.

17h30 : retour au sujet du moment. Un message sur les ondes signale « un rodéo en cours » dans un quartier pavillonnaire d’Issou. La BST et la Brigade anticriminalité (Bac) filent sur place. « Dernièrement, la mairie nous a signalé plusieurs fois des motocross sur son territoire. » Dans cette bourgade d’apparence paisible à l’est de Mantes, étonnamment, les forces de l’ordre sont parfois accueillies par des tirs de mortiers d’artifice. En chemin, les agents s’équipent alors de grenades lacrymogènes.

Dans les hauteurs d’Issou, pas l’ombre d’une moto. Un garçon part en courant à leur vue. « Lui, c’est du stup, c’est sûr. » Pas le temps de s’attarder, priorité aux délinquants de la route. Les patrouilles se séparent, sillonnent les petites rues, inspectent les endroits prisés des amateurs de cross bitume… RAS : rien à signaler.

En repartant, un homme, l’air hagard, bière à la main, se plante devant le véhicule de police. Contrôlé, il proteste vigoureusement. Au départ des agents, sa compagne le rejoint, le ton monte entre eux deux. Les policiers l’escortent jusque chez elle, pendant que lui rentre, de son côté, à son domicile. « On a peut-être évité des violences conjugales. »

Retour au Val Fourré. Toujours ce climat de tension au passage du fourgon siglé « police ». Et toujours pas de motocross. Dans le secteur des Garennes, une voiture grise attire l’attention de la patrouille. « Elle roule bizarrement. Ça n’a pas le permis ça. »

Gyrophare, sirène : l’automobiliste, sommée de s’arrêter, grille un stop et poursuit sa route, la police aux trousses. Elle finira par se ranger, 200 mètres plus loin.

Le contrôle débute et là, première scène de rodéo de l’après-midi : un jeune homme à scooter passe à tombeau ouvert. Mais, occupés par la conductrice de 19 ans, qui, effectivement, roulait sans permis, les fonctionnaires restent de marbre. Coïncidence ou effet dissuasif de l’uniforme ? En leur présence, le chauffard à deux roues n’est pas revenu s’aventurer dans le secteur.

Direction le commissariat avec la jeune interpellée. Fin de la mission rodéo. L’opération n’a pas porté ses fruits. Mais ce n’est pas toujours le cas.

Une quinzaine d’interpellations depuis février

Fouilles des parties communes d’immeubles à la recherche de deux roues, contrôles routiers et, comme ici, patrouilles dédiées : avant même les consignes du ministère, on luttait déjà contre le phénomène à Mantes. Depuis février 2022 les chiffres du commissariat font état de l’interpellation d’une quinzaine d’individus impliqués dans des rodéos (dont deux condamnés à une peine de prison ferme) et de la saisie d’une vingtaine de véhicules utilisés à cet effet.

La réponse judiciaire, jugée « à la hauteur » par un enquêteur, est-elle efficace ?

« Malheureusement, on ne sent pas une prise de conscience des mis en cause, souvent des jeunes hommes désœuvrés. Ils pensent qu’ils ne sont pas dangereux. »

Un enquêteur du commissariat de Mantes-la-Jolie

Même avec toute la bonne volonté du monde, mettre fin à ces comportements qui empoisonnent la vie dans les quartiers semble mission impossible, selon différents acteurs de terrain.

« Nos moyens d’action sont limités. On n’a pas le droit de les prendre en chasse pour éviter l’accident. Ils le savent et des fois, ils viennent nous tester, confie un gradé de la police. Le problème n’est pas nouveau. Les rodéos existaient déjà il y a une vingtaine d’années, mais c’était plus sporadique. Depuis les années 2010, c’est monté en puissance. »

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