L’historienne Régine Pernoud a écrit « Pour en finir avec le Moyen-Age », afin de dénoncer la vision idéologiquement négative propagée par les historiens des 19ème et 20ème siècles. Elle démontre qu’ils en ont fait le repoussoir qui valorise artificiellement l’époque dite moderne. L’historienne médiéviste estime que les clichés habituels ont dénaturé l’image des femmes de la période des cathédrales, car on trouvait parmi elles des femmes administratrices de biens considérables, des gérantes de commerce performantes, des femmes de lettres de haut niveau comme Marie de Champagne propagatrice de l’amour courtois et inspiratrice d’écrivains masculins.
Nous publions ici un texte très documenté de l’abbé Arbez sur le blog Dreuz
Régine Pernoud est à compter parmi les chercheurs qui ont – preuves à l’appui – déconstruit minutieusement le mythe du Moyen Age obscurantiste (voir son livre « La femme au temps des cathédrales », 1980). Elle réhabilite le christianisme souvent attaqué, qui selon elle a joué un rôle civilisationnel inégalable en donnant à la femme un statut et une envergure considérable. Son étude documentée évoque des femmes de pouvoir comme Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille, mais aussi des femmes du peuple comme Jeanne d’Arc et Catherine de Sienne.
NDLR :Ou bien sainte Geneviève, patronne de Paris, qui exhorta les hommes à combattre pour éviter la conquête de Paris par Attila, démontrant s’il en était besoin que le catholicisme, le patriotisme et le combat contre une invasion sont légitimes…
On peut en déduire que la condition des femmes du Moyen Age aurait beaucoup à apprendre aux militantes actuelles et relativiserait leurs revendications idéologiques.
Clotilde de Genève
Une femme assez peu connue a joué un rôle déterminant dans l’histoire de l’Europe et en particulier, de la France : Clotilde, fille de Chilpéric II, roi des Burgondes, peuple germanique établi dans un vaste territoire allant de la Suisse au sud-est de la Gaule. Clotilde, princesse burgonde de Genève, naît en 475 ; avec sa sœur Chroma elle échappe à un sanguinaire règlement de compte familial et c’est son oncle Gondebaud qui prend en charge et éduque les deux orphelines. Clotilde est très instruite, belle et intelligente. Animée par une profonde spiritualité catholique, la Genevoise consacre son temps à des œuvres caritatives au service des pauvres, à proximité de l’église St Victor, dans la vieille ville. Clovis, ayant entendu parler de cette femme exceptionnelle, lui fait demander sa main. Son oncle Gondebaud accepte, mais en vertu de ses convictions profondes, Clotilde propose à Clovis d’abandonner ses idoles et de se tourner vers le Dieu des chrétiens. Le mariage est célébré, à Dijon, et malgré les réticences de Clovis, les enfants qui naîtront de leur union seront baptisés.
Lors de la bataille de Tolbiac contre les Alamans, un groupe germain concurrent, Clovis se retrouve en sérieuse difficulté. Le combattant païen prie le Dieu de Clotilde de le sortir de ce mauvais pas. Les Alamans sont mis en déroute et Clovis vainqueur décide de se convertir. C’est ainsi que le 25 décembre 496, le roi des Francs se fait baptiser à Reims par l’évêque Rémi ainsi que 3000 de ses soldats. Dans ce siècle, c’est la dissidence arienne qui règne dans de nombreuses régions d’Europe, et pourtant Clovis choisit de devenir catholique en fidélité au magistère romain, alors qu’un calcul purement politique l’aurait guidé vers le camp adverse et hétérodoxe de l’arianisme. Sa réflexion personnelle a abouti, persuadé par son épouse Clotilde, qui a su mettre en lumière la priorité des arguments de foi plutôt que de pouvoir. Ce choix déterminant, réalisé grâce à la Genevoise Clotilde, a constitué un tournant décisif pour le Royaume des Francs : il a lui permis de devenir une nation que le pape appellera « fille aînée de l’Eglise ». Le Général De Gaulle dit en 1965 : « La France commence avec le baptême de Clovis ».
Mathilde de Toscane
Cette princesse est fille de Boniface III, marquis de Toscane et de Béatrice de Bar, issue de la noblesse germanique. Cette femme de tête joue un rôle personnel important lors de la querelle des investitures, car elle accueille le pape Grégoire VII, que l’empereur germanique Henri IV menaçait de déposer. Grâce à son entremise, l’empereur vient à Canossa faire amende honorable face au pape Grégoire. Mathilde soutient encore avec détermination son successeur Victor III réfugié au Monte Cassino. Mathilde fonde l’abbaye d’Orval devenue célèbre.
Des femmes-chevaliers au Moyen Age
Sophie Cassagne Brouquet, médiéviste et chercheur à l’université de Toulouse, publie « Chevaleresses », où elle décrit la vie aventureuse de femmes engagées dans la chevalerie médiévale au service de nobles causes. Ces femmes sont moins popularisées et moins représentées que les hommes dans l’iconographie, mais elles existent et sont souvent comparées allégoriquement aux Amazones des mythes antiques.
Les femmes en religion
Parmi les femmes du Moyen Age jouant un rôle de premier plan, il y a les religieuses. Les premières communautés monacales se forment dès le 5ème siècle. On sait le rôle central joué par les couvents dans les pays européens. Certaines femmes ont évolué vers cette vocation (ora et labora = prie et travaille) depuis leur enfance : ayant effectué leur formation dans un couvent, elles s’engagent à l’âge adulte. D’autres fuient une famille autoritaire menaçante, d’autres encore souhaitent vivre retirées loin du fracas des intrigues et des guerres.
Cependant nombre de ces femmes consacrées ne se désintéressent pas de la vie séculière et certaines acquièrent une envergure humaine de premier plan. Ainsi la princesse Elisabeth von Wetzikon, (1235-1298) devenue abbesse du Fraumünster de Zurich : elle dirige non seulement le couvent mais aussi les structures sociales de la ville. Juge suprême, elle nomme le bourgmestre, diffuse sa propre monnaie et prélève des droits de péage sur les ponts du territoire et les accès à la cité.
Des personnalités de moniales aux multiples qualités émergent au fil du temps dans les cloîtres du Moyen Age. Elles y ont trouvé une instruction conséquente, une protection et une sécurité, la possibilité de se soustraire aux contraintes de leurs familles.
Puissante Abbaye de Fontevraud
Entre Paris et Nantes se situe l’abbaye de Fontevraud, objet de nombreuses études sur le rôle des moniales médiévales. Des chercheurs comme Annalena Müller, de Fribourg, ont mis en lumière le fait que des abbesses de monastère avaient acquis une influence spirituelle et politique considérable. L’abbaye de Fontevraud avait en responsabilité des terres, des forêts, des pâturages, des moulins, des droits de rentes seigneuriales, et divers documents historiques attestent de la fructueuse gestion de ces biens communautaires par la première abbesse, Pétronille de Chemillé (+1149). Des abbesses issues des Bourbon ont ensuite administré l’ordre avec succès de 1491 à 1670. Alors que les guerres de religion dévastaient la région durant 35 ans, ces abbesses ont su veiller à ce que leurs possessions ne soient pas spoliées et restent catholiques. L’abbaye de Fontevraud fut durant des siècles un centre de pouvoir avec lequel la politique française devait compter, et une référence dans la vie de l’Eglise.
En Europe, plusieurs monastères furent administrés de cette manière : Notre Dame de Soissons, le Fraumünster de Zurich, Las Huelgas de Burgos, les couvents d’Essen et Quedlinburg parmi d’autres. A noter que ces puissantes abbesses du Moyen Age ont souvent un pouvoir plus important que celui des évêques, et d’ailleurs elles tiennent une crosse épiscopale comme symbole de leur autorité.
Hildegarde de Bigen
Hildegarde von Bingen (1098-1179) est une moniale bénédictine de Rhénanie devenue célèbre pour ses dons polyvalents : spirituels, médicaux, littéraires, poétiques, musicaux.
Elue abbesse du monastère bénédictin de Disibodenberg à l’âge de 38 ans, Hildegarde fonde l’abbaye de Rupertsberg en 1147. Visionnaire, elle est convaincue que la spiritualité englobe tout l’être, et que la médecine doit soigner simultanément l’âme et le corps. Soucieuse de prévention, elle incite à soigner particulièrement son alimentation. Cette intuition expérimentée donnera naissance des siècles plus tard à la naturopathie. Hildegarde publie « Physica » où elle répertorie animaux et plantes avec leurs pouvoirs thérapeutiques. « Causae et curae » est une synthèse contre les maux physiques et psychiques, qui annonce le concept moderne de la somatisation des tourments psychiques. Pour Hildegarde, la musique est une symphonie de l’âme. Elle compose une série de chants pour les offices, ce qui est une exception féminine pour l’époque. Son rayonnement est tel, qu’elle entretient des liens épistolaires avec les grands personnages de son temps : les archevêques, les papes, les rois, les empereurs reçoivent ses admonestations et ses conseils avisés. Sa procédure de canonisation a abouti en 2012, ce qui en fait une femme Docteur de l’Eglise.
Mahaut d’Artois
Mahaut d’Artois, femme puissante du 14ème siècle, est comtesse d’Artois et de Bourgogne. C’est une femme de pouvoir que les études récentes réhabilitent par rapport aux approches dénigrantes des historiens du 19ème siècle. Volontaire, elle sait résister à la pression des seigneurs locaux, à des membres influents de sa famille, à son propre neveu. Elle affronte les intrigues menées par des nobles et désamorce les traitrises. Elle est qualifiée de « femme en guerre » par les chercheurs attachés à analyser les rouages du pouvoir féminin de cette époque.
Catherine de Sienne
Catherine Benincasa naît en 1347 dans la période sombre du grand schisme d’Occident, de la pandémie tueuse de la peste noire et de l’interminable guerre de cent ans. Catherine de Sienne était analphabète mais son œuvre littéraire fut de haut niveau, et le retentissement politique du témoignage de cette femme fut impressionnant.
Religieuse dominicaine, Catherine de Sienne appela avec force au renouveau de l’Église en dénonçant les abus et la corruption. Elle réussit à faire revenir le pape d’Avignon à Rome. Il faut signaler le fait exceptionnel que les papes Grégoire XI et Urbain VI l’accueillirent en plein consistoire afin qu’elle s’adresse aux cardinaux, ce qu’elle fit avec intelligence et pertinence, dénonçant les scandaleuses dérives et exhortant les hauts responsables de l’Eglise à réaliser l’œuvre de Dieu sans craindre les conséquences de leur courage. Lacordaire a écrit que Catherine de Sienne a manifesté en son temps ce qui manque le plus aux hommes d’aujourd’hui : la force de la volonté ! Catherine de Sienne ne sachant écrire a dicté ses œuvres littéraires inspirées, en particulier son célèbre « Dialogue » qui a fondé avec Dante la langue et la littérature italienne. Femme de foi reconnue docteur de l’Eglise, elle est présentée comme patronne de l’Europe par le pape Jean Paul II.
Jeanne d’Arc
Jeanne naît à Domrémy en Lorraine en 1412. Elle mourra sur le bûcher en 1431 à Rouen, possession anglaise. Cette jeune paysanne, surnommée par la suite « la pucelle d’Orléans » se sent investie par St Michel archange d’une mission personnelle : délivrer la France du joug britannique. C’est ainsi que portant un costume de guerre masculin, elle conduit en faveur de Charles VII des troupes jusqu’à la victoire à Orléans qu’elle délivre du siège des anglais. Le roi est sacré à Reims, grâce au courage de cette jeune femme, le cours de l’histoire s’inverse. Mais capturée par les Bourguignons en 1430, Jeanne est vendue aux Anglais pour une somme de 10000 livres. Son procès en hérésie est conduit par l’évêque de Beauvais, ce qui donne lieu au témoignage de foi de Jeanne face à ses bourreaux. Ce procès va être révisé sur l’ordre du pape Calixte III 20 ans plus tard et Jeanne sera innocentée et réhabilitée. Cette grande figure du Moyen Age, sans doute la plus connue du public, a inspiré de nombreuses œuvres littéraires et cinématographiques. Canonisée en 1920, Jeanne d’Arc est l’héroïne résistante vénérée par les patriotes.
Christine de Pizan
A la fin du Moyen Age, elle est la première femme cultivée qui peut vivre de ses œuvres. Fille de médecin, elle était devenue veuve très jeune et devait élever seule ses enfants. Elle écrit des poèmes en vers et en prose sur le thème de l’amour avec un accent mis sur la loyauté et la fidélité. Des rondeaux, des ballades, des pièces lyriques, œuvres empreintes de sagesse expriment avec éloquence ses convictions. Ses écrits sont traduits en plusieurs langues, et les princes la protègent, tels que le duc du Berry, Philippe le Hardi, Charles VI, Louis d’Orléans, Louis de France. Elle est une des femmes écrivains les plus appréciées du Moyen Age. ( Cf « La vie des femmes au Moyen Age » par Sophie Cassagnes).
(Tour d’horizon non exhaustif !)