L’instinct de survie des classes populaires

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Note de lecture des deux ouvrages de Christophe Guilluy

Les Dépossédés, les délaissés, la France d’en bas, les gens ordinaires, en somme le Peuple véritable est évoqué avec une lucidité dans ce dernier ouvrage dont nous usons du sous-titre comme intitulé de notre article, qui prolonge l’analyse et la réflexion des précédents ouvrages du même auteur (Fractures françaises, La France Périphérique, No Society…).

Cet ouvrage met en évidence les discordances de la réalité contemporaine et les discours des pseudo-intellectuels et médiacrates promus par la davocratie et la « France d’n haut ».

Guilluy souligne que les classes dominantes, revendiquées comme telles, n’ont jamais disposé d’autant de pouvoir tout en se révélant de plus en plus ouvertement creuses et impuissantes.

Il se livre donc à une analyse exhaustive de ce phénomène.

Ainsi  son ouvrage No Society peut ainsi se synthétiser :

« En effet, pendant la campagne présidentielle de 1981, le premier secrétaire du PCF, Georges Marchais, expliquait « qu’il fallait stopper l’immigration officielle et clandestine » et qu’il était inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France alors que notre pays compte près de 2 millions de chômeurs français et immigrés ».

Si le PCF et plus largement la gauche rassemblaient encore l’essentiel des voix populaires, c’est à cette époque que l’ostracisation des plus modestes a commencé, notamment dans une fraction de la gauche socialiste. Georges Marchais pressentait la montée d’un discours qui visait à ostraciser la classe ouvrière pour mieux délégitimer ses revendications. Dans un discours prémonitoire, il dénonce clairement la dynamique qui allait conduire à la relégation culturelle des plus modestes puis à la rupture entre la gauche et les classes populaires : « Nous posons les problèmes de l’immigration, ce serait pour utiliser et favoriser le racisme, nous rechercherions à flatter les plus bas instincts, nous combattons le trafic de drogue, ce serait pour ne pas traiter de l’alcoolisme apprécié par notre clientèle…ils crient tous en chœur pétainisme (…). Quelle idée se font ces gens des travailleurs ? Bornés, incultes, racistes, alcooliques, brutaux, voilà d’après nos détracteurs, de la droite au Parti Socialiste, comment seraient les ouvriers ».

Dans la bouche de Marchais, la régulation des flux ne relevait donc d’aucune dimension ethnique ou culturelle, elle visait à protéger les ouvriers du dumping social sur la question raciale. »

La fin de la « classe moyenne occidentale » dissoute par l’évolution de la société spectaculaire et marchande, se traduit par sa marginalisation géographique, hors des côtes « boboïsées » et sa dissolution sociale.

Les littoraux restent accessibles « touristiquement et épisodiquement », mais leur « gentrification » est en voie d’achèvement. Ceci est une illustration du fonctionnement et du renforcement du système inégalitaire qui traduit l’implosion de la classe moyenne dont le plus grand nombre est propulsé vers le bas. De ce fait « dans cette organisation  en sablier », la classe moyenne occidentale disparait pour laisser la place à deux pôles antagonistes : des catégories supérieures captant l’essentiel des hauts revenus et une minorité ordinaire qui se fragilise. Grâce à son poids démographique inédit, le monde d’en haut possède la capacité de remodeler le paysage médiatique, politique, culturel, mais également la géographie sociale des pays occidentaux ».

Globalement les grandes métropoles occidentales (de New-York à Bordeaux) forment un archipel où résident ce qui subsistent des classes supérieures (et des gagnants de la mondialisation) : Les classes populaires, à l’exception des logements sociaux « ont été éliminés de tous les espaces, y compris des stades de football où leur présence n’est tolérée que dans les virages »

L’auteur évoque également la répartition des groupes de revenus et dénonce le mythe des 1% des plus riches dont en 2018, le revenu est de 6651 euros par mois, les 5% de 4090 euros et les 10% de 3261 euros. Le double du revenu médian se situe donc «c’est le seuil de « richesse» à 3547  euros », ce qui signifie que la moitié de la population française dispose de moins de 1771 euros mensuels.

Il poursuit ainsi au travers des revenus, des modes et sites de vie, l’évolution de la réalité sociale, le rejet des gens ordinaires du champ social : celui des interactions sociales traditionnelles et donc de la mise à l’écart des classes populaires, ce qui illustre et définit « Le monde d’après »  (celui d’Orwell, de Huxley et de soleil Vert), celui de la distanciation sociale, de la distance de l’autre.

Il évoque Les Ecrits corsaires de Pasolini qui, en 1974 s’attaquait au pouvoir de délitement et d’aliénation des médias : « La diffusion de l’idéologie dominante par les médias ainsi que sa critique ne sont pas nouvelles. Si tout le monde s’entend sur l’évidente propagande des régimes totalitaires, la critique du narratif des régimes démocratiques est plus ardue ».

« Dans ces mêmes écrits, Pier Paolo Pasolini s’attaquait au pouvoir du média qui devenait dominant : La télévision. De nos jours, il suffit de remplacer le mot « télévision » par « réseaux sociaux » ou « chaînes d’infos » pour entrevoir la pertinence de l’analyse. » «  Il émane de la télévision quelque chose d’épouvantable. Quelque chose de pire que la terreur que devait inspirer, en d’autres siècles, la seule idée des tribunaux spéciaux de l’Inquisition. Il y a au tréfonds de la dite « télé » quelque chose de semblable, précisément, à l’esprit de l’Inquisition : une division nette, radicale taillée à la serpe, entre ceux qui peuvent passer et ceux qui ne peuvent pas passer : ne peut passer que celui qui est imbécile, hypocrite, capable de dire des phrases et des mots qui ne soient que du son. Et c’est en cela que la télévision accomplit la discrimination néocapitaliste entre les bons et les méchants. Le bombardement idéologique télévisé n’est pas explicite : il est tout entier dans les choses, tout indirect. Mais jamais un « modèle de vie » n’a vu sa propagande faite avec autant d’efficacité qu’à travers la télévision. C’est justement parce qu’elle est purement pragmatique que la propagande télévisée représente le moment d’indifférentisme de la nouvelle idéologie hédoniste de la consommation, un puissant moyen de diffusion idéologique, et justement de l’idéologie consacrée de la classe dominante ».

Son analyse, finement et exhaustivement développée, conduit à signifier « l’impasse démocratique », l’absence « d’offre politique »  authentiquement populiste ou populaire conduisant à un abandon massif et sociétal de la modernité (et de la « nouvelle société ») par les couches populaires*

Cette « annonce des temps obscurs » ouvre la voie à de multiples hypothèses socio-économiques : de l’effondrement sans appel de la civilisation (déjà largement dissoute) à la résurgence du peuple « s’armant » d’une « nouvelle » idéologie.

Celle-ci s’inscrit et s’inscrira dans le cadre de la démondialisation en marche, de la perte du niveau culturel et intellectuel à l’origine de la perte du sens politique. Sourdes et aveugles, les classes dirigeantes des pays occidentaux sont impuissantes, ayant livré le pouvoir aux instances technocratiques internationales (Davos et la Silicon Valley).

Les blocs civilisationnels émergents et conflictuels (cf les thèses de Huntington) forment un monde devenant multipolaire et vont précipiter la disparition de l’Occident.

Et pour conclure, citons l’Epilogue de Guilluy : « Le retour des gens ordinaires au centre est la seule réponse à la promesse du chaos, et la seule condition à la reconstruction. Cet ancrage dans la réalité ordinaire ne nous conduira pas à un monde parfait, mais (et ce sera déjà beaucoup) à un monde qui aura du sens. C’est désormais la seule ligne d’horizon.

THERE IS AN ALTERNATIVE. »

Daniel Cosculluela.

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