Combien d’électeurs se déplaceront dans les isoloirs les 10 et 24 avril prochains ? Après les taux records d’abstention aux élections municipales de 2020 puis aux départementales et aux régionales de 2021, les observateurs craignent que la présidentielle soit, à son tour, boudée par les Français. Un tel phénomène serait nouveau pour le scrutin le plus plébiscité depuis le début de la cinquième République.
L’abstention est un phénomène compliqué. Elle peut avoir tendance à augmenter ou à baisser, cela dépend de l’enjeu. Il y a de plus en plus une dimension conjoncturelle dans le vote. Or, l’élection présidentielle de 2022 semble moins mobilisatrice que celle de 2017, qui avait pourtant déjà connu une abstention plus forte qu’en 2012.
« En décembre dernier, Ipsos a mesuré un taux d’intérêt pour la campagne à seulement 67%. A titre de comparaison, cet indicateur était à 81%, à la même période en 2016. »
L’abstention est un phénomène très difficile à mesurer pour les instituts de sondage. Les personnes qui acceptent de répondre à des enquêtes socio-politiques sont plus intéressées que la moyenne par les campagnes électorales. Elles ont donc une propension plus faible à s’abstenir.
La surprise peut-elle être comparable à celle des dernières élections régionales ? Beaucoup d’électeurs ont tendance à cacher leur abstention lorsqu’ils sont interrogés. C’est d’ailleurs ainsi que les sondeurs expliquent qu’ils se sont complètement trompés aux dernières régionales. Il y avait alors eu des records d’abstention qui n’avaient pas du tout été anticipés et nous craignons le même effet en avril prochain. Pourtant, la présidentielle a jusqu’à présent toujours été une élection qui a plutôt fait le plein de participation.
L’abstention progresse avec les « millenials », c’est-à-dire les électeurs arrivés à l’âge adulte dans les années 2000. Le rapport au vote de ces générations est de plus en plus intermittent. Ces derniers ne s’abstiennent pas systématiquement. Leur vote dépend de l’élection, de qui est candidat et des enjeux. À l’opposé, les électeurs nés avant les années 1940 ainsi que les « baby-boomers », nés juste après la guerre, considèrent encore le vote comme un devoir. Ceux-là ont plutôt tendance à voter à toutes les élections.
Nous l’avons constaté aux dernières régionales : Les électeurs âgés de plus de 65 ans ont pesé 1,5 fois leur poids démographique dans les urnes. Tandis que la moitié des moins de 35 ans, en âge de voter, ne se sont pas exprimés. Or les générations les plus anciennes sont plus portées vers la droite traditionnelle. Ces électeurs ont plutôt voté pour le parti Les Républicains aux régionales de juin dernier. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. En 2017, François Fillon avait fait ses meilleurs résultats au sein de cette population plus âgée. Aujourd’hui, Valérie Pécresse, la candidate des Républicains, obtient également ses meilleurs scores d’intentions de vote dans cet électorat.
Les partis politiques qui font beaucoup de voix parmi les catégories populaires ont le plus à pâtir de l’abstention. Il en va ainsi du Rassemblement national, mais également des écologistes et d’une partie de la gauche.
Nous sommes donc clairement face à un système politique qui déplore l’abstention d’un côté, mais qui, d’un autre côté, continue à fonctionner très bien avec des taux de participation relativement faibles. Il y a quand même eu un record de vote blanc au second tour de la présidentielle de 2017. En a-t-on parlé de ce record ? Quasiment pas.
L’abstention n’est pas une fatalité. L’élection présidentielle de 2020 aux Etats-Unis a enregistré une participation record. En Allemagne, il y a une relative stabilité. Et le vote continue de progresser dans d’autres pays, comme les Etats scandinaves par exemple.
Jean-Frédérique L’Esparre