Contre les Russes, chaque «petit geste» compte?

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Ces satanés Russes ne respectant par les «standards de la communauté» internationale, les Occidentaux entendent les vaincre un lampion à la fois. La guerre en Ukraine ouvre un nouveau «temps des rituels», qu’analyse ici Jérôme Blanchet-Gravel, dans la revue Causeur.


Il est fascinant d’observer comment l’écologisme et le sanitarisme influencent notre manière de réagir à l’offensive russe. « Chaque petit geste compte », aime-t-on rappeler. Chaque concert d’un musicien russe annulé, chaque millilitre de pétrole russe non consommé, chaque centime retiré de l’économie russe nous rapprocheraient de la victoire sur le Mal, comme chaque goutte de gel désinfectant nous rapprochait de la fin de l’épidémie, et comme chaque milligramme de plastique recyclé nous réconcilierait comme humanité pécheresse avec la nature.

C’est le temps des rituels : l’Occident combat son extinction un lampion à la fois. Nous sommes convaincus de pouvoir agir sur le monde comme sur une poupée vaudou où planter et retirer des aiguilles.

Activisme à domicile

Ce monde est incroyablement superficiel. Nous sommes passés de la bien-pensance à la bien-monstrance, les réseaux sociaux ayant fait de leurs utilisateurs des relais uniformes de la bonne parole. Nous nous imaginons que le filtre d’une photo de profil fait de nous des héros, pendant que des populations vivent sous les bombes et dans la misère. En bonne missionnaire, la gauche humanitaire avait encore le mérite de se rendre sur le terrain pour constater les dégâts de l’aventure humaine : aujourd’hui, la révolution numérique a inventé l’activisme à domicile.

Cette nouvelle effusion de vertu aux couleurs d’une Ukraine qui n’intéressait presque personne avant l’invasion russe est à la fois rassurante et inquiétante.

Rassurante, car elle freine malgré tout les ardeurs des va-t-en-guerre prêts à déclencher un nouveau conflit mondial, et dont plusieurs craignaient pourtant il y a quelques mois la compagnie de non-vaccinés. Heureusement que le ridicule ne tue pas ! Au Québec, il faut voir tous ces chroniqueurs se jeter désespérément sur la cause de l’Ukraine pour faire oublier à quel point ils ont abîmé le tissu social durant la crise sanitaire [1].

Inquiétante, car cette nouvelle vague de vertu ostentatoire s’accompagne de tous les outils de censure et d’encadrement de la pensée qui ont vu le jour dans l’univers woke, et qui ont été déployés et renforcés durant la pandémie. Le fait que l’offensive russe soit illégitime ne devrait pas nous empêcher de voir comment les GAFAM entendent modeler l’opinion en fonction de leurs propres partis pris.

Fin de l’histoire : la parenthèse n’est pas encore refermée

On dit de la guerre en Ukraine qu’elle marque le retour de l’histoire dans un Occident qui avait cru à sa fin avec Francis Fukuyama. Nous serions subitement sortis de notre confort abrutissant pour embrasser à nouveau les grandes valeurs de liberté qui ont fait le succès de notre civilisation. Après des décennies de doux déclin, nous aurions envie de nous battre, ressentant un appétit soudain pour l’adversité. L’arrivée de combattants occidentaux en Ukraine témoignerait de cette parenthèse qui se referme.

Qu’on me permette de douter de notre volonté à retourner dans l’action à l’heure où l’on souhaiterait canceller un régime aussi facilement qu’on suspend le compte Facebook d’un utilisateur n’ayant pas respecté « les standards de la communauté ». Pour l’instant, rien ne dit que des populations prêtes à sacrifier une partie de leurs droits fondamentaux sur l’autel de la santé publique retrouveront aussi vite le goût de la lutte. Les dizaines d’articles faisant état de l’anxiété provoquée par les images de la guerre chez des Occidentaux déjà fortement ébranlés par la pandémie n’annoncent rien de très viril.

L’Occident oscille entre émotion et facebookisation. Nos États livrent des armes, mais au fond de nous, nous voudrions que les conflits armés se règlent en appuyant sur une touche de notre ordinateur, ou en remplaçant Kiev par Kyiv, comme si les sanctions économiques et le bris de chaînes d’approvisionnement pouvaient vaincre des motivations guerrières enracinées dans des siècles d’histoire.

Comme si la machine et les prières qu’on lui adresse pouvaient enfin débarrasser le monde de tous ses malheurs.


[1] A ce sujet, nous renvoyons nos lecteurs page 28 du magazine Causeur en kiosques « Canada, le confort à tout prix », Jérôme Blanchet-Gravel.

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