Nationaliser EDF, simple financièrement mais complexe à réaliser
Sans surprise, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé la renationalisation complète d’EDF, dans son discours de politique générale du 6 juillet à l’Assemblée nationale. Une opération financière assez simple, mais qui cache des réformes de fonds plus complexes.
«Je vous confirme aujourd’hui l’intention de l’État de détenir 100 % du capital d’EDF. Cette évolution permettra à EDF de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique», a déclaré la Première ministre Élisabeth Borne devant l’Assemblée nationale le 6 juillet, lors de son discours de politique générale. Une annonce attendue. Déjà le 17 mars, lors la présentation de son programme pour un second quinquennat, Emmanuel Macron avait expliqué que, pour des questions de souveraineté énergétique, l’Etat devait « reprendre le contrôle capitalistique de plusieurs acteurs industriels ». Le Président réélu a précisé que, « sur une partie des activités les plus régaliennes, il faut considérer que l’État doit reprendre du capital, ce qui va d’ailleurs avec une réforme plus large du premier électricien français ». EDF devait être renationalisé. C’est désormais officiel. Sur le papier, l’opération n’a rien de compliqué.
L’État possède déjà 83,88% du capital d’EDF SA. Le reste est détenu à 15,03% par des actionnaires institutionnels et individuels et à 1,06% par les salariés. 0,03% sont en auto-détention. L’État, qui vient encore de débourser 2,6 milliards d’euros pour recapitaliser EDF afin d’amortir l’effet en Bourse de son bouclier tarifaire sur les coûts de l’énergie, devra encore sortir quelques milliards d’euros pour détenir 100% des parts du groupe. Rien d’insurmontable.
C’est ensuite que les choses vont se compliquer. Car, même si la crise énergétique, la guerre en Ukraine et la crise climatique vont probablement forcer l’Europe à plus de souplesse vis-à-vis de la dérégulation des marchés de l’énergie, entamée en 1990, la Commission devrait continuer à exiger une séparation étanche entre les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d’énergie pour éviter que des financements publics du nucléaire profitent à des activités plus concurrentielles comme les énergies renouvelables, l’hydrogène et les services énergétiques.
Or EDF n’est pas seulement un producteur d’électricité nucléaire. C’est un groupe intégré de 167 157 salariés, qui a réalisé 84,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, aux multiples filiales en France et à l’international, dont certaines activités sont très concurrentielles et d’autres régulées. Que faire des activités hydrauliques, dont Bruxelles demande la mise en concurrence ? Et comment assurer les développeurs des énergies renouvelables qu’un EDF nationalisé ne sera pas en position dominante pour décrocher tous les appels d’offres, alors que la France veut installer 50 parcs éoliens en mer et multiplier par dix la puissance installée de photovoltaïques pour atteindre 100 GW en 2050?
Est-ce que la recette, utilisée en 2015, de placer les activités de distribution d’Enedis et celles de transport et de gestion du réseau de RTE dans des filiales indépendantes, pourrait s’appliquer à la vente, aux renouvelables, à l’hydraulique et aux services? Ce qui permettrait, comme promis par le PDG d’EDFJean-Bernard Levy et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, de conserver la qualité de groupe intégré d’EDF… Avec la nouvelle donne européenne, les cartes sont un peu rebattues.
Dans tous les cas, il faudra aussi réformer les outils de régulation des prix de l’électricité en France, comme l’explique justement la Cour des comptes dans un rapport publié le 5 juillet. Créés par la loi Nome (nouvelle organisation du marché de l’électricité) du 7 décembre 2010, les mécanismes de tarif régulé de vente (TRV) d’énergie pour les particuliers et petites entreprises et d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) devaient permettre, conformément au cadre européen, l’exercice de la concurrence entre fournisseurs. Mais aussi garantir aux consommateurs des prix stables, reflétant la compétitivité du parc nucléaire existant pour en assurer le financement et disposer de capacités suffisantes pour garantir l’équilibre entre l’offre et la demande. Ces objectifs ont été partiellement atteints, mais au prix d’un manque-à-gagner pour EDF d’environ 5 milliards d’euros sur la période 2011-2020, estime la Cour des comptes. Cette dernière demande au gouvernement de s’atteler à la tâche dès cette année.
Si nationaliser EDF est la première étape pour que l’État reprenne le contrôle du prix de l’électricité, de la sécurité d’approvisionnement et de la souveraineté énergétique du pays, c’est seulement la première, et loin d’être suffisant.