Une très interessante analyse de la situation agricole par Roland Hureaux que nous fait parvenir le Cercle de Reflexions Souveraineté et Démocratie.
« Quels que soient ses pitoyables sautillements à l’entrée du Salon de l’agriculture où il a cherché en vain des interlocuteurs pour faire un vrai débat, Emmanuel Macron ne pourra satisfaire aucune des attentes du monde agricole et cela quelle que soit sa sincérité, d’ailleurs douteuse.
La raison : il est compétemment coincé sur les deux sujets majeurs qui ont motivé la révolte : le libre-échange et l’écologie ; or ils sont les plus importants qui soient pour les instances qui contrôlent son action : le Forum de Davos et son relais, la Commission européenne.
Le libre-échange sans limite est le premier article de foi des instituions mondialistes. Il est sans cesse rappelé à Davos où on panique de crainte qu’il ne recule, sans que , pour le moment, cette crainte soit vraiment fondée.
Qu’on le veuille ou non, l’agriculture paysanne à base d’exploitations moyennes, d’un travail de qualité , d’une mode de vie rude , d’exploitants indépendants, est constitutive de l’agriculture européenne, spécialement française.
Compte tenu des coûts des facteurs de production ( terre, main d’œuvre, engrais , énergie, charges sociales ) en Europe et spécialement en France, supérieurs à presque tout le reste du monde , cette agriculture ne pourra être maintenue, dans certains secteurs au moins, sans un minimum de protection. Nous disons protection pas protectionnisme ; il ne s’agit pas d’être systématique . Une protection à laquelle la Commission européenne , par idéologie, a renoncé. Bien au contraire, au lieu d’en rester au statu quo, déjà handicapant pour les Français , elle multiplie les accords spéciaux avec le Canada, la Nouvelle Zélande ou l’Amérique latine qui fragilisent encore les agriculteurs français. Elle donne, pour des raisons politiques des facilités à l’agriculture ukrainienne qui produit le blé 40 % moins cher.
Non seulement Macron, s’il voulait aller sincèrement au-devant des attentes des agriculteurs français aurait du mal, mais – il ne l’a évidemment pas dit au Salon de l’Agriculture – , il n’est pas convaincu qu’il faille le faire . Au fond de lui-même , il pense lui aussi qu’il faut un Etat mondial et le libre-échange universel. Méprisant tout ce qui est racines, terroir, il ne verrait pas d’inconvénient à ce que les exploitations familiales disparaissent en France au bénéfice de quelques unités industrielles . Pas plus que les gens de Davos ou de Bruxelles, il ne s’émeut que les ouvertures que nous faisons ne sont généralement pas réciproques.
L’autre sujet où les agriculteurs pourraient espérer quelque chose – mais n’attendent généralement plus rien, c’est l’écologie. L’écologie , depuis qu’elle est au premier plan , n’a vas reverdi les prairies, ni refroidi la planète (heureusement) mais elle a sécrété une immense bureaucratie qui pèse sur des exploitants déjà harassés par le travail de la ferme. Elle les a placés sous la tutelle humiliante de bureaucrates au petits pied qui surveillent l’application de règlements de plus en plus complexes et souvent contradictoires . En même temps, elle impose plus de contraintes à l’utilisation des engrais ou des produits phytosanitaires, et, depuis une date plus récente à l’utilisation des sols . Plus récemment, le projet officiel, sournoisement appliqué , en phase avec la mode végan, est de réduire les élevages , supposés diffuser du méthane. L’agriculture, comme le reste du monde rural , fait désormais l’objet d’un flicage généralisé. Avec le même esprit bureaucratique qui semble la seconde nature des organisations chargées des contrôles.
Et là aussi , malgré quelques concessions « cosmétiques » , il y a peu de chances que le courant soit renversé tant que l’écologie reste la priorité absolue du Giec, du Forum de Davos et de la commission de Bruxelles.
Une situation d’autant plus enrageante pour le monde paysan que les pays qui exportent chez nous, même parfois européens, ne sont pas soumis aux mêmes obligations .
Le libre-échange et l’environnement) inséparable de la crainte du réchauffement climatique) : voilà les deux origines du malaise. Une troisième préoccupation est montée en tète de l’agenda des gouvernements européens : la guerre d’Ukraine. Elle suit une quinzaine d’années de tension entre la Russie ou l’Occident, où ont été imposées les premières sanctions. Ces sanctions ont eu le résultat inverse de celui qui était attendu ( ce qui arrive souvent en tous domaines) : faute de pouvoir importer, la Russie s’est dotée d’une industrie et d’une agriculture très modernes, à partir des terres da la frontière ukrainienne, les plus fertiles du monde. La Russie et l’Ukraine sont devenue des exportateurs très puissants qui, eux aussi, sont à même de ruiner l’agriculture européenne si , pour des raisons stratégiques discutables , l’Union européenne persiste à favoriser l’Ukraine. Ajoutons la privation de l’énergie à bon marché que nous fournissait la Russie et qui surcharge encore les coûts de production. Enfin les milliards que coûte cette guerre affaiblissent d’autant les budgets européens et donc la possibilité d’aider l’agriculture.
Quand on sait que le tiers ses meilleurs terres ukrainiennes[1] a été acquis par les géants de l’agroalimentaire ( Cargill, Bayer-Monsanto etc. ) ou géants tous court ( Bill Gates), sans compter les céréaliers français les plus performants, on imagine que ces gens ont les moyens de faire pression à Bruxelles pour que l’Europe occidentale ouvre ses portes aux produits ukrainiens puisque l’Ukraine, c’est eux.
La colère paysanne s’en prend aux fondamentaux du mondialisme sur trois questions majeures où la liberté de manœuvre de Macron est limitée . S’il ne veut pas essuyer une défaite en rase campagne ( hors quelques lots de consolation), il doit se préparer à une rude bataille qui le verront en première ligne dans l’inéluctable affrontement avec les forces les plus déterminées du nouvel ordre mondial . La bataille qu’ils livreront sera la mère des batailles.
Ce sera le leur aussi aussi la nôtre. »
Roland HUREAUX le 24/02/2024
[1] Elles sont hors de zones de combats, comme la plus grande partie de l’Ukraine
Originaire des Landes, Roland Hureaux a intégré l’Ecole Normale Supérieure et l’ENA après des études supérieures à Bordeaux . Il a occupé en début de carrière des postes variés : corps préfectoral , corps diplomatique, DATAR, professeur associé à la Faculté de droit de Toulouse et Cour des Comptes à la fin. Il a surtout été en 1994-1995 membre du cabinet de Philippe Seguin à la présidence de l’Assemblée Nationale.
Il a écrit de nombreux pamphlets politiques : Pour en finir avec la droite (Gallimard), Les hauteurs béantes de l’Europe (FX de Guibert), Les nouveaux féodaux (Gallimard) , La grande démolition – La France cassée par les réformes (Buchet-Chastel), et plus récemment : Les gilets jaunes ont raison (L’Harmattan), L’homme qui n’aimait pas la France (Editions de Paris) et Le GREAT RESET n’aura pas lieu (L’Harmattan).