Nous venons de fêter le 439e anniversaire de la naissance de Vincent Depaul, né au village de Pouy à côté de Dax le 24 Avril 1581 dans une famille de paysans. Après des études brillantes à Toulouse il est ordonné prêtre en Septembre 1600. Il sera canonisé en 1737.
L’aventure humaine et spirituelle de St Vincent de Paul au 17ème siècle mérite réflexion. Comment un saint homme, connu pour sa compassion et son esprit pacifique, apôtre de la charité , en est-il venu à souhaiter et préparer une intervention armée en Méditerranée pour secourir les dizaines de milliers de chrétiens déportés comme esclaves ou maltraités dans les geôles islamiques du Maghreb ?
Deux ans d’esclavage en terre d’islam:
Lors d’un voyage à Marseille en 1605, il prend le chemin du retour pour Narbonne en bateau. Mais les pirates « barbaresques » musulmans qui écumaient la Méditerranée l’arraisonnent au large d’Aygues Mortes. Débarqué à Tunis où il sera vendu comme esclave à un vieil alchimiste. Ayant constaté l’intelligence et la culture du prêtre, son maître cherche par tous les moyens à le convertir à l’islam, sans succès. Puis il le revend à un propriétaire terrien. Il parviendra à s’évader 2 ans plus tard de façon rocambolesque. Cette expérience va le marquer durablement car il a vécu la condition insupportable des milliers d’esclaves chrétiens en terre d’islam.
Monsieur Vincent, au service des pauvres et des malades
De retour à Paris, il fait la rencontre du cardinal de Bérulle, et met au point – grâce à des mécènes – son projet de fonder une société au service des pauvres, la société des dames de Charité. Nommé aumônier des galères du roi, il va au-devant des condamnés pour les assister. Egalement sensible au sort tragique des enfants abandonnés dans les rues de Paris, il parvient à en sauver des milliers en quelques décennies. Sa rencontre prolongée avec François de Sales, évêque de Genève, l’enracine dans sa volonté d’apporter des secours spirituels à ceux qui en ont le plus besoin. Cette activité est rendue possible grâce au réseau de personnalités influentes et fortunées.
En mai 1627, il crée les Prêtres de la Mission, avec l’appui du roi Louis XIII. Cette congrégation prendra le nom de « lazaristes ». Le désir d’organiser le soulagement des souffrances, c’est aussi pour Vincent le projet de venir en aide aux esclaves prisonniers des bagnes islamiques au Maghreb. Il fonde une œuvre en 1645, qui lui permet de faire délivrer plusieurs milliers de captifs chrétiens par paiement de rançon, mais il met en place une sorte d’aumônerie qui se soucie d’offrir un soutien spirituel et une amélioration des conditions de vie. Les missionnaires envoyés par Vincent vont se heurter à l’hostilité des chefs musulmans qui répugnent à voir des prêtres sur le sol de l’islam et qui ont déjà à plusieurs reprises refusé catégoriquement la construction de chapelles. La conversion surprise au catholicisme du fils du bey de Tunis parti avec sa suite se faire baptiser en Espagne envenime la situation. Cette action a été exaltée par le très beau film « Monsieur Vincent » (1947) avec Pierre Fresnay.
Monsieur Vincent : un catholique de combat pour notre temps ?
Avançant en âge, Vincent se rend compte que les accords et traités passés avec les autorités islamiques ne sont jamais respectés. Les navires des Barbaresques mandatés par le Sultan et sous l’autorité des deys de Tunis et d’Alger continuent d’aborder les bateaux marchands des états chrétiens, les pillent et capturent les passagers. Les captifs sont traités comme du bétail, et vendus à leur arrivée. Les jeunes femmes, y compris les religieuses, sont expédiées dans les harems des dignitaires et du sultan. Les souverains européens protestent continuellement contre ces exactions, et rien ne change. Le roi de France montre des réactions assez molles, et il ne semble pas décidé à faire la guerre aux pirates musulmans. Le dey d’Alger a beau jeu de souligner ironiquement cette attitude velléitaire : « Ces Européens ont des cœurs de femmes ! Ils ne tourmentent point leurs ennemis ! »
Face à cette redoutable dégradation générale, ayant essayé tous les moyens pacifiques, diplomatiques, mis en échec par la stratégie musulmane, Vincent de Paul en arrive à ne plus se satisfaire de son Œuvre des Esclaves, et il envisage donc à partir de 1658 la manière forte pour résoudre le problème lancinant des captifs chrétiens en terre d’islam.
N’obtenant aucun résultat concret de la part du roi de France, Vincent de Paul constate que les succès défensifs déjà réalisés en Afrique du Nord par les Vénitiens, les Génois et les Maltais sont utiles mais insuffisants, et il prend la décision de financer lui-même une expédition armée pour aller au secours des esclaves et des captifs, et pour stopper les persécutions et les exactions permanentes des Barbaresques. Des notables contribuent aux frais de cette entreprise de nettoyage des côtes de l’Algérie. Mais Vincent de Paul meurt en 1660, avant d’en voir les premiers résultats. La même année, Louis XIV envoie enfin une quinzaine de navires au-devant des Barbaresques.
Cela aboutit à un traité, signé par le dey d’Alger en 1666, garantissant la sûreté de la navigation chrétienne en Méditerranée. En 1668, le successeur de Vincent de Paul prend en charge la supervision des esclaves chrétiens en Barbarie. Mais la piraterie islamique reprend de plus belle, et la situation continue de s’aggraver. Toutefois, le sultan du Maroc accepte de négocier avec la France et ouvre Fès aux Européens, ce qui n’empêche nullement les Algériens de continuer de nuire.
Un nouveau traité signé en 1684 est de nouveau violé . La France bombarde Alger et Cherchell. En représailles les Algérois exécutent de nombreux captifs. Nouveau bombardement.
Atermoiements du roi de France. Un peu plus tard, un nouveau projet de libération des territoires maghrébins est proposé à son successeur le roi Louis XV. Dans ses annales, le prêtre et savant italien Ludovico Muratori écrit : « Ce sera toujours une honte pour les Puissances de la chrétienté, aussi bien catholiques que protestantes, que de voir qu’au lieu d’unir leurs forces pour écraser, comme elles le pourraient, ces nids de scélérats, elles vont de temps à autre mendier par tant de sollicitations et de dons ou par des tributs, leur amitié, laquelle se trouve encline à la perfidie ».
Ce sont les Espagnols qui maintiennent la pression et qui reprennent Oran en 1732. Mais ils ne parviennent pas à briser les chaînes des milliers de prisonniers.
Nouveau traité signé par le Premier Consul avec Alger en 1801, aussitôt transgressé, comme d’habitude, mais le trafic s’atténue quelque temps. Lors du Congrès de Vienne, les Anglais et les Français semblent d’accord pour une intervention contre les pirates d’Alger. L’amiral Smith adresse un message à tous les gouvernements européens. En 1824, les esclaves chrétiens sont toujours au nombre d’arrivages de dix mille par an.
Naissance de l’Algérie
C’est en 1830 que le corps expéditionnaire français fort de trente sept mille hommes débarque à Alger. Deux cent ans après son initiative, le projet de Vincent de Paul aboutit sur le terrain. Les esclaves sont libérés. La presse internationale salue avec enthousiasme la réussite de l’expédition. La Suisse déclare que la prise d’Alger est une victoire de la civilisation:« Un succès vient de couronner une glorieuse entreprise tentée contre le plus puissant des états d’Afrique asile du brigandage ! Elle promet la sécurité de la Méditerranée, elle brisera les fers des esclaves chrétiens ». Jules Ferry lui-même y voit un « acte de haute police méditerranéenne ».
En tout cas l’exemple de Saint Vincent de Paul montre que la religion catholique n’est pas réductible à un troupeau soumis et bêlant, la douceur peut être alliée à la force au service de la justice . Ce n’est pas un cas unique dans l’histoire puisque le pape Pie V etait l’initiateur de la coalition victorieuse à Lépante le 7 Octobre 1571 soit 10 ans avant la naissance de Saint Vincent. Qu’en pense le Pape François ?